L’austérité, c’est les autres…

Bousculé par l’affaire Cahuzac, le débat sur la politique économique a ressurgi dans la majorité. Le gouvernement et le PS en renvoient la responsabilité aux conservateurs européens.

Michel Soudais  • 18 avril 2013 abonné·es

Ce samedi matin, les socialistes réunis dans une salle en sous-sol de la Cité des sciences s’attendaient à une action des opposants au mariage pour tous. Mais, aux cris de « interdiction des licenciements » et « le changement, c’est maintenant ! », ce sont des ouvriers de l’usine PSA-Aulnay qui ont fait irruption sur la scène du conseil national du PS. Provoquant l’exfiltration précipitée de Jean-Marc Ayrault qui venait de défendre la politique de son gouvernement à la tribune. Tandis que Pierre Moscovici se réfugiait prudemment au fond de la salle, d’autres responsables socialistes saluaient la délégation de grévistes conduite par le cégétiste Jean-Pierre Mercier, venu dénoncer la « trahison » du gouvernement et réclamer la nomination d’ « un médiateur avec de réels pouvoirs » dans le conflit qui oppose les salariés de l’usine d’Aulnay à Peugeot.

Cette intervention impromptue a agacé plus d’un responsable socialiste. Elle a aussi été applaudie par une bonne partie de la salle comme une salutaire « irruption du réel » au moment où la gauche du parti mais aussi d’autres sensibilités réclament une inflexion de la politique économique et sociale du gouvernement. Un débat lancé quelques jours auparavant, dans les médias, par trois ministres, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et la verte Cécile Duflot, après l’annonce par Jean-Luc Mélenchon d’une marche citoyenne contre l’austérité et pour la VIe République. Outre la volonté de contenir la contestation du Front de gauche, la relance soudaine de ce débat s’explique par deux raisons. L’affaire Cahuzac tout d’abord. Le ministre déchu incarnait l’austérité, susurre-t-on dans quelques ministères, il n’est plus possible de demander aux gens de se serrer la ceinture et d’appliquer cette politique. Des mesures « uniquement éthiques » ou « techniques » contre la fraude fiscale ne suffiront pas à répondre à la crise politique, estime Cécile Duflot dans Mediapart (9   avril). Les Français attendent « qu’on soit exemplaire sur le plan social » aussi, abonde Benoît Hamon ( le Parisien, 9   avril). « Le changement après le redressement doit commencer très vite », professe le ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire. L’aveu de l’ancien ministre du Budget signe également la mort de « la gauche néolibérale, que certains ont nommée “gauche morale” », un « courant politique  […] qui a substitué au combat social et à l’émancipation une logique moralisante et compassionnelle, un combat pour des “valeurs” et une philosophie au final assez conservatrice », analyse Julien Dray sur son blog. D’où le réveil, au sein du PS, de certaines sensibilités plus traditionnelles en quête de revanche.

Pour son premier conseil national depuis le congrès de Toulouse – il y a six mois ! –, Harlem Désir a craint que sa résolution, vantant la politique du gouvernement, ne soit pas adoptée. Pour y parer, le patron du PS a dû en urgence convoquer vendredi matin une réunion à Matignon de parlementaires et de ministres.

C’est vraisemblablement là que la décision a été prise d’ajouter à l’éloge gouvernemental un paragraphe décrivant le combat de François Hollande contre « les conservateurs européens » . Et sa lutte pour que l’Europe ne soit pas un « espace austéritaire » .

Ce néologisme forgé il y a dix-huit mois par… Jean-Luc Mélenchon était jusqu’ici un concept du Front de gauche. Samedi, la résolution n’a finalement été adoptée que par 98 voix contre 32 et 14 abstentions. Soit 144 votants sur 306 conseillers nationaux. On a connu les socialistes plus enthousiastes.

L’approche d’une échéance budgétaire enfin. Après avoir reçu l’avis, attendu en début de semaine, du tout nouveau Haut Conseil des finances publiques adossé à la Cour des comptes, le ministre des Finances devait présenter mercredi 17   avril en conseil des ministres son « programme de stabilité » révisé, destiné à ramener, avec un an de retard, le déficit public de la France sous la barre symbolique des 3 % du PIB en   2014. Or ce document, débattu au Parlement les   23 et 24   avril puis envoyé à la Commission européenne le   30, implique de nouvelles hausses d’impôts, malgré les promesses de stabilité fiscale, et des coupes dans les dépenses publiques. De quoi inquiéter les ministres. « On ne peut pas considérer que le coup de rabot général soit une bonne méthode », a ainsi mis en garde Cécile Duflot, qui craint une « spirale de la récession ». À peine ouvert, le débat au sein du gouvernement a toutefois été clos par François Hollande. « Aucun ministre ne peut remettre en cause la politique qui est conduite », a déclaré le président de la République à l’issue du conseil des ministres du 9   avril. Non sans rappeler que sa politique n’était « pas une politique d’austérité » mais de « sérieux budgétaire ».

Une distinction contestée par Emmanuel Maurel (voir ci-contre) au sein du PS, où l’heure n’est pas non plus à la critique. « Ne laissons pas croire qu’une autre politique est possible », a lancé, samedi, Alain Fontanel, secrétaire aux fédérations, en ouverture des débats. « Il nous faut serrer les rangs, a renchéri le politologue Zaki Laïdi, du bureau national, mais certainement pas céder à la tentation, la nuit venue, d’explorer les caves humides et sombres d’une autre politique. » « Nous ne menons pas la seule politique possible, mais la meilleure », nuance Harlem Désir. Faute de pouvoir remettre en cause la politique du gouvernement, le PS s’en prend aux politiques européennes d’austérité. Et singulièrement à « la droite allemande », accusée de les imposer. Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ne demandaient pas autre chose. L’un réclamait dans le Monde (9 avril) d’ « ouvrir un débat sur cette politique qui conduit l’Union à la débâcle ». L’autre accusait sur BFM-TV (10   avril) « la politique voulue par la droite allemande  [de] mener le projet européen dans une impasse ». Samedi, faisant écho à Jean-Marc Ayrault qui venait d’appeler à « construire la gauche en Europe » pour avoir « une Europe de combat », Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’Europe, a insisté sur « la centralité du combat politique entre la social-démocratie et les droites européennes ».

Pour la gauche du PS, cette distinction entre les politiques européennes et la politique nationale n’est qu’une esquive. Gérard Filoche a ainsi rappelé qu’après s’être opposé au premier plan chypriote dans la réunion de l’eurogroupe, Pierre Moscovici l’avait finalement voté « pour ne pas ajouter la crise à la crise ». L’ex-inspecteur du travail y voit une preuve (supplémentaire) que le PS « ne se bat pas contre la droite allemande ». Sur le TSCG, le budget européen, Chypre, « nous sommes dans une sorte de grande coalition avec eux au moment où le SPD est en train d’en sortir ». « Si nous ne nous en dégageons pas, on va subir le sort du Pasok », prédit-il. Marie-Noëlle Lienemann n’est pas moins sévère. La sénatrice de Paris exhorte François Hollande à taper du poing sur la table, comme de Gaulle ou Margaret Thatcher en leur temps, pour être entendu, au lieu d’ « attendre de rétablir nos comptes pour être entendus en Europe ».

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