Les religieux en marche vers le pouvoir

Charles Enderlin décrit l’irrésistible ascension en Israël d’un messianisme juif encouragé par les laïques.

Denis Sieffert  • 11 avril 2013 abonné·es

Dans les premières pages de son livre, Charles Enderlin rapporte un propos de David Ben Gourion dans une lettre à son fils, en 1937. Le père fondateur d’Israël y définit sa stratégie : acceptons la création d’un État « même limité », écrit-il, « ensuite, j’en suis certain, cela ne nous empêchera pas de nous installer dans les autres parties du pays ». Soixante-seize ans plus tard, la ruse historique de Ben Gourion est toujours opérante. Mais à quel prix ? Car, pour conquérir « les autres parties du pays », celles qui revenaient aux Arabes, les sionistes laïques ont joué les apprentis sorciers. Invoquant une légitimité religieuse, ils ont colonisé « au nom du temple ». C’est ce jeu dangereux – qui est peut-être tout simplement l’histoire d’Israël –, que décrit magistralement le journaliste Charles Enderlin. Le moment capital en est la guerre des Six-Jours, en 1967, quand l’armée de Moshe Dayan arrive au mur des Lamentations. « Le mont du Temple est à nous ! », s’exclame le chef des paras Motta Gour, cultivant l’équivoque religieuse. En octobre 1973, quand l’armée israélienne frôle la défaite, le rabbin Yehuda Amital commente : « Le chemin de la rédemption passe par la souffrance. » Toujours l’équivoque.

C’est cette même année que naît le Goush Amounim, le « Bloc de la foi », bras armé de la colonisation « messianique », encouragé par le mécréant Ariel Sharon, « en tant que militaire ». Ce que montre ensuite Enderlin, c’est l’émergence d’un État dans l’État. Un messianisme juif organisé qui impose de plus en plus « sa » loi à un pouvoir civil tantôt récalcitrant, tantôt complice.

Lorsque Rabin signe les accords d’Oslo, en 1993, le « messianisme religieux », instrumentalisé par le Likoud, constitue déjà une force irrépressible. Enderlin décrit cette étrange « cérémonie » au cours de laquelle des militants religieux, réunis devant le domicile du Premier ministre, disent une « prière cabalistique pour la mort de Rabin »  : « Anges de destruction, frappez-le ! » Un mois plus tard, Rabin tombe sous les balles d’un extrémiste. Le pouvoir religieux est en marche. Il colonise à son gré, prend des positions de commandement dans l’armée, sacralise les assassins venus de ses rangs et impose sa définition de l’« État juif ». Aujourd’hui, « même les séculiers » placent « la judaïté avant la démocratie », témoigne le sociologue Tamar Hermann, cité par Enderlin. Preuve que les ultrareligieux ont peut-être gagné la bataille idéologique et qu’ils sont « en marche vers le pouvoir ». Au rythme d’un grand reportage, alternant récits et analyses, le correspondant de France 2 à Jérusalem brosse un tableau terriblement inquiétant d’Israël.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

La gauche et la méritocratie : une longue histoire
Méritocratie 17 décembre 2025 abonné·es

La gauche et la méritocratie : une longue histoire

Les progressistes ont longtemps mis en avant les vertus de l’école républicaine pour franchir les barrières sociales. Mais le néolibéralisme dominant laisse peu de chances aux enfants des classes populaires de s’extirper de leur milieu d’origine.
Par Olivier Doubre
Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »

Dans un entretien croisé, l’autrice et sociologue et le président de l’association Une voie pour tous remettent en question la notion de mérite dans un système scolaire traversé par de profondes inégalités.
Par Kamélia Ouaïssa et Hugo Boursier
« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »

Sociopolitiste et historien, Antoine Idier analyse les enjeux de la proposition de loi « portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 », votée le jeudi 18 décembre 2025 par l’Assemblée nationale.
Par Olivier Doubre
Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier