La politique après François Hollande ?

La revue Lignes donne la parole à une trentaine d’intellectuels qui s’interrogent sur les nouvelles formes d’intervention dans l’espace public.

Denis Sieffert  • 16 mai 2013 abonné·es

Débonnaire, jovial, normal, François Hollande est pourtant l’auteur paradoxal d’un acte d’une incroyable violence politique. En un rien de temps, au lendemain de son élection, il a tourné le dos à ses électeurs. Plus vite et plus fort que ne l’avait fait jadis François Mitterrand. Face à cette stupéfiante volte-face, on est d’abord tenté d’interroger la personnalité du Président. La brutalité de cette rupture est-elle la conséquence singulière de la faiblesse du personnage, incapable de résister à la pression de l’adversité ? Est-ce la manifestation d’un cynisme sans égal et d’une préméditation mûrie tout au long de la campagne électorale ? Ou bien le résultat d’un amateurisme consternant qui aurait fait découvrir au Président élu une réalité économique et politique que le candidat ne soupçonnait pas la veille ? Toutes ces questions pourraient se poser à l’intéressé, mais en connaît-il seulement la réponse ? En vérité, elles se posent d’abord à chacun d’entre nous. Et c’est bien sous cet angle que Lignes aborde le sujet. La revue de Michel Surya a sollicité une trentaine d’intellectuels, qui explorent « ce qu’il reste de la politique ». Cela après une année qui nous interroge sur l’existence même de la notion de gauche, et sur la survivance d’un espace public de conflictualité et d’alternatives. Comment les auteurs se positionnent-ils devant cet événement incroyable d’une gauche qui reprend mot à mot le discours de la droite, en prolonge la politique économique et sociale ? L’anthropologue Jean-Loup Amselle se dit « ni déçu ni surpris », se refusant même à parler de « trahison » tant « les jeux étaient faits » dès lors qu’il s’agissait « de se maintenir au sein du système ». Pour lui, Hollande n’a été élu « que contre Sarkozy » et les socialistes sont sincèrement convaincus qu’il n’existe aucune alternative. « Prétendant gouverner au nom de principe moraux, écrit-il, [les socialistes] auront de fait incarné la permanence et la prégnance d’une caste de polytechniciens, d’énarques et de normaliens qui ont réussi au travers de leur rêve d’une France sans usines, et donc sans ouvriers, à mettre ce pays à genoux. »

Au fil des pages, deux postures au moins se dessinent. Certains ne veulent pas complètement renoncer à une politique que l’on pourrait qualifier d’institutionnelle. Ainsi la philosophe Véronique Bergen, qui explique les raisons pour lesquelles « le bilan désastreux d’une gauche qui s’est vidée d’elle-même ne  [la] fait pas basculer dans la position de l’abandon du geste du scrutin ». Car, dit-elle, « même dans cette quasi-mort du politique  […], il n’est pas indifférent pour l’avenir du monde  […] que Barack Obama ou George Bush Jr soit au pouvoir ». D’autres, comme Philippe Corcuff, pensent au contraire que « la politique est ailleurs », « sur le terrain des singularités individuelles », par exemple. Un ailleurs dans lequel se situe aussi le philosophe Jean-Paul Curnier, pour qui « il n’y a sans doute pas d’urgence plus importante pour l’instant que celle de s’employer en toute chose à désobéir ». Le poète Hervé Carn appelle de ses vœux « des révoltes énergiques (et logiques) des travailleurs en lutte ».

Pour la psychanalyste Mathilde Girard, « politique est  […] le nom de ce qui s’exprime dans l’instant, dans la révolte, dans les expériences collectives, dans les singularités ». Face aux impasses institutionnelles, les idées de révolte, et même de révolution, sont ici déclinées sur tous les modes. Parfois sous la forme d’une position individuelle et morale, et parfois en référence à l’histoire, comme avec le philosophe Alain Jugnon, qui cite Saint-Just : « Il est une époque dans l’ordre politique où tout se décompose  […].  » Alors, « si quelque peuple barbare se présente, tout cède à sa fureur, et l’État est régénéré par la conquête ». La révolte sociale et collective est présente aussi chez le sociologue Michael Löwy, qui oppose à la politique institutionnelle, « celle qui règne  [et qui] gouverne partout », une autre « célébrant la dignité de l’indignation et de l’inconditionnel refus de l’injustice ». « La guerre entre ces deux formes de politique, conclut-il, ne fait que commencer. » Le sociologue Gérard Mauger insiste pour que l’on continue d’inscrire le combat dans l’héritage de la gauche. Pour lui, même si le PS est « désormais un parti de droite », il ne faut pas renoncer au « label de gauche », mais au contraire le « réhabiliter » et construire « une gauche de gauche ». Éric Fassin nous met également en garde contre « la tentation gauchiste », celle du « blanc bonnet, bonnet blanc ». Il refuse « la jouissance amère de la marginalité ». Il faut, dit-il, faire de la politique « hors du monde politique, le plus souvent, mais en pesant sur lui, autant que possible ». Le philosophe Étienne Balibar ne veut pas non plus croire à la « disparition de la politique ». Nous sommes, selon lui, dans l’un de ces moments historiques que Gramsci définissait comme un entre-deux, quand « l’ancien est déjà mort » alors que « le nouveau ne peut naître ». Il voit au travers de tous ces « soulèvements éphémères » moins « le réveil de l’histoire » que « sa vigilance inquiète ». Tous les auteurs ici rassemblés ont au moins un point commun : qu’ils continuent d’agir dans le périmètre traditionnel de la politique ou qu’ils privilégient des formes nouvelles, ils refusent la résignation.

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