Le cercle de l’oligarchie

Au Cercle de l’industrie, les élus sont à l’intérieur du lobby patronal.

Jean Gadrey  • 9 mai 2013 abonné·es

Parmi les lieux formels ou informels où se forgent la connivence et la collusion entre milieux d’affaires et certains politiques de haut rang du PS et de l’UMP, on trouve en bonne place le Cercle de l’industrie. Lobby patronal accueillant en son sein des hommes politiques promis à un bel avenir et pouvant servir la cause des grandes entreprises et de la finance. Créé en 1993 sur une idée de Dominique Strauss-Kahn (qui en devient le vice-président) et Raymond Lévy (PDG de Renault), il rassemble pratiquement toutes les principales multinationales à base française. Les quelques responsables politiques qui en sont membres appartiennent équitablement à l’UMP et au PS. Ses textes précisent qu’il vise notamment « la promotion de l’image et des intérêts de l’industrie auprès des institutions publiques nationales et européennes ». C’est donc bien un lobby typique, qui affirme explicitement collaborer avec le Medef et ses homologues européens.

Le Cercle a deux vice-présidents, l’un socialiste, l’autre UMP ou équivalent. DSK en sera le vice-président de 1993 à 1997 (il devient alors ministre de l’Économie du nouveau gouvernement Jospin). On aura du côté UMP Jacques Barrot puis Alain Lamassoure, et, du côté PS, Pierre Moscovici jusqu’en 2012. Ce dernier a été interrogé en 2011 par la presse : « Vous cumulez la fonction de vice-président du Cercle de l’industrie et le mandat de député… Conflit d’intérêts ? » Sa réponse : « Ce serait le cas si le Cercle de l’industrie était un lobby… C’est un club, pas un lobby. » L’argument est grossier au vu des textes du Cercle lui-même, ou alors tous les lobbies sont des clubs de débats citoyens désintéressés… Pour devenir ministre de l’Économie, et plus si affinités, le Cercle est la voie royale. DSK et Pierre Moscovici en sont les meilleurs exemples, mais les grands patrons du Cercle gardent plusieurs cordes à leur arc. Sont actuellement en réserve les deux vice-présidents Alain Rousset et Alain Lamassoure, mais aussi Jacques Barrot, Gilles Carrez (actuel président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale), Gérard Collomb, Louis Gallois, Christel Bories et Pierre Gadonneix.

On pense usuellement un lobby comme un groupe d’intérêts extérieur au groupe des élus, tentant de convaincre le second d’adopter les vues du premier. Mais avec le Cercle, et bien d’autres liaisons moins visibles, c’est gagnant-gagnant : les élus en exercice sont à l’intérieur du lobby patronal ! Les conséquences de cette fusion sont multiples. D’une part, de toute évidence, les élus en question sont d’autant plus amenés à adopter les visées du lobby dont ils sont membres que cela peut servir leur « propre » carrière politique. D’autre part, pour ce qui est des comportements cupides de certains élus, pouvant aller jusqu’aux dérives, cette situation est pour le moins malsaine, voire un « pousse-à-la-fraude » ou encore à une bienveillance étrange vis-à-vis des fraudeurs les plus riches. Il existe bien d’autres lieux et liens où se constitue l’oligarchie politico-économique. Les Pinçon-Charlot les ont mis en lumière dans leurs livres. Il ne suffira pas d’une opération limitée de « moralisation » pour y mettre fin. C’est toute une République qui est à refonder.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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