Question d’étiquette

Hollande est-il le patron d’une société à responsabilité (très) limitée pour laquelle les décisions importantes se prennent au niveau de la holding située à Bruxelles ?

Denis Sieffert  • 23 mai 2013 abonné·es

Quel est donc son combat ? De quelle société rêve-t-il ? La fréquentation assidue de François Hollande au travers de ses interventions publiques ne nous aide guère à y voir clair. Et sa conférence de presse du 16 mai a même plutôt contribué à brouiller les pistes. Sans surestimer l’importance des étiquettes en politique, on aime bien savoir à qui on a affaire. On peut donc s’interroger : est-il «  un socialiste qui veut le bien de la France », comme il l’a prétendu à cette occasion ? Ou juge-t-il au contraire que cette noble appellation de « socialiste » est incompatible avec l’exercice des plus hautes fonctions, comme il l’avait affirmé le 28 mars à la télévision ? Est-il un « social-démocrate » honteux, ce que répètent avec jubilation maints commentateurs ; ou un social-libéral, puisque c’est ainsi que nous le définissons parfois ici même ?

À moins – hypothèse terrifiante – qu’il ne soit rien. Tout juste le gestionnaire de la SARL France ? Le patron d’une société à responsabilité (très) limitée pour laquelle les décisions importantes se prennent ailleurs, au niveau de la holding située à Bruxelles ? En réalité, avec sa grande offensive de l’An II, François Hollande nous refait le coup de Mitterrand. Pour la deuxième fois en vingt ans, un président « de gauche » tente de nous vendre l’idée d’une Europe, idéologie de substitution en lieu et place des références sociales abandonnées. On ne dit pas : « Je suis devenu néolibéral », mais « je suis européen ». Ce qui a plus fière allure. Pour Mitterrand, cela s’est concrétisé par le traité de Maastricht. Pour son lointain successeur, voilà le « gouvernement économique européen ». Ce machin, déjà suggéré par Jacques Delors en 1989, puis repris par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en 2011, n’aurait de sens que si les chefs d’État en profitaient pour récupérer le pouvoir d’agir sur la monnaie. Ce qui signifierait briser le dogme allemand de la Banque centrale européenne indépendante, et jeter aux orties le traité de Maastricht. Ou s’il permettait de mutualiser les dettes européennes. Ce dont l’Allemagne ne veut pas entendre parler ! Faute de quoi, le gouvernement européen en question n’aurait pour effet que de conférer aux politiques néolibérales une légitimité qu’elles n’ont pas quand elles sortent de la manche de M. Barroso.

Ce ne serait guère qu’une étape de plus dans le déplacement du lieu de pouvoir. C’est déjà ce qui nous a frappé le 16 mai : François Hollande a beaucoup dit « j’ai décidé… » pour annoncer des mesures qu’en vérité Bruxelles lui impose – dont, bien sûr, la réforme des retraites –, illustrant ainsi la phrase fameuse de Cocteau : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur . [^2] » L’étonnant, c’est que le président de la République ne témoigne pas du même esprit de décision pour mettre en œuvre des mesures qui ne dépendent que de lui et de sa majorité. La grande réforme fiscale, par exemple, ou une vraie séparation des activités d’affaires et de dépôt dans les banques, ou encore l’interdiction des licenciements boursiers. Par défaut plus que par volonté, François Hollande est donc un néolibéral ou un gestionnaire du système. Ce qui revient au même. Faute de donner de vrais signes d’ancrage à gauche par sa politique économique et sociale, il semble avoir rallié cette nouvelle espèce qui prolifère un peu partout, à l’instar d’un Mario Monti, ou d’un Enrico Letta, en Italie : un technicien, qui gère l’État comme une entreprise. Le seul problème, c’est qu’il avait promis autre chose à son électorat.

Ce glissement n’empêche pas la droite et les économistes médiatiques d’affubler François Hollande de l’étiquette « social-démocrate ». Et tant pis si la social-démocratie, au sens historique de la IIe Internationale, de Léon Blum, ou du modèle scandinave, ce n’est pas cela, mais un courant du mouvement ouvrier anti-révolutionnaire et réformiste. On cherche en vain le réformisme dans l’An I de François Hollande, si bien sûr on remet à l’endroit le mot « réforme », synonyme d’un progrès social, même modeste. Mais l’appellation « social-démocrate » permet à ceux qui en usent, et en abusent, de préserver un jeu de rôle gauche-droite, et de rappeler qu’il existe plus libéral et plus à droite que François Hollande. Ce dont nous sommes bien convaincu. Ce jeu d’illusions passe aussi par un reproche récurrent adressé par certains journalistes à nos socialistes : il n’y a jamais eu de « Bad Godesberg » français. Cela, en référence au congrès du SPD allemand de 1959, qui renonça à toute inspiration marxiste et exalta la libre concurrence. Il est bien vrai que l’évolution de nos dirigeants socialistes s’est opérée par ajustements progressifs et inavoués, et non dans la lumière d’une décision de congrès. Mais, au point où nous en sommes, le résultat est un peu le même.

[^2]: Les ayants droit du poète, s’il en existe encore, nous pardonneront d’avoir accommodé la formule aux impératifs de notre une en couverture…

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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