Bio : les nouveaux maraîchers

Grâce une demande croissante, de plus en plus d’agriculteurs parviennent à vivre décemment avec seulement quelques hectares.

Claude-Marie Vadrot  • 6 juin 2013 abonné·es

Yorick Dufour, 32 ans et trois enfants, entame sous une pluie et une température qui ralentissent ses cultures sa cinquième année de maraîchage bio. Quatre hectares inégalement répartis sur deux parcelles insérées dans la forêt d’Orléans. Une de ces zones que les agriculteurs ont désertées. Auparavant, Yorick était technicien agricole. Puis il a récupéré cette petite ferme à Chatenoy d’un grand-père ayant renoncé depuis longtemps à l’agriculture : « Avec ma femme, nous avons commencé par retaper les lieux. Elle est institutrice, cela nous donne une sécurité pendant que l’exploitation monte en puissance.  » Yorick avoue que, financièrement, c’est encore dur et qu’il a « de grosses semaines ». Tout au long du printemps, de l’été et de l’automne, il produit des radis, des carottes, des aubergines, des poireaux, des courgettes, des pommes de terre, des choux rouges, des concombres, de la salade, des oignons et entre 1,5 et 2 tonnes de tomates. « Pas le temps de m’arrêter avant le cœur de l’hiver : un petit maraîcher bio, c’est à la fois un technicien toujours à la recherche de nouvelles astuces, un cultivateur et un vendeur. J’ai dû arrêter les poules et les lapins, je n’avais pas assez de temps. » Sa satisfaction ? Pas d’invendus. Il fait un marché le samedi, vend une partie de sa production dans une Amap et à la ferme une fois par semaine, puis écoule le reste dans des boutiques de la région.

Avec cela, une fois payés les emprunts pour le tracteur d’occasion, les serres en plastique et les circuits d’arrosage au goutte-à-goutte, le jeune maraîcher se verse un salaire de 800 euros par mois, espérant atteindre bientôt 1 500 euros. Son but n’est pas de s’enrichir, « juste de vivre normalement ». Yorick a eu la chance d’obtenir immédiatement sa certification en bio car les certificateurs ont pu vérifier, notamment auprès des exploitants précédents, que toutes ses cultures se faisaient sur d’anciennes prairies n’ayant reçu aucun traitement depuis des lustres. « Le bio doit être un choix clair et vérifiable. Il ne suffit pas d’afficher “sans traitements”. On est certifié ou on ne l’est pas, affirme-t-il. Il faut réfléchir à ce que l’on fait pour l’environnement et pour la santé des gens. Quand on se lance dans cette agriculture par simple opportunisme, on lâche rapidement. Déjà, quand on a la foi, c’est dur, alors si on n’est pas vraiment convaincu, c’est encore plus difficile. D’autant plus que les aides sont faibles ou inexistantes. Le bio, dans cette région, ça dérange encore beaucoup le milieu agricole. Mais je me sens de moins en moins isolé  ». Pour résoudre les problèmes de désherbage, cauchemar du bio, il utilise un petit engin à roulettes équipé d’une lame qui lui permet de couper les herbes entre les rangs. Les salades et les tomates sont repiquées sur un film de paillage à base d’amidon de maïs qui offre l’avantage d’être biodégradable et de se mélanger à la terre lors du labourage léger de fin de saison : «  Pas besoin de l’ôter et de l’apporter à la déchetterie.  »

À une centaine de kilomètres de là, dans le Cher, Frédéric Bidault traite différemment la question du paillage : «   J’utilise du plastique, parce que j’ignore encore quelle est la différence de dépense énergétique entre le dérivé de l’amidon de maïs et ce plastique que je peux utiliser plusieurs années. De plus, je n’ai aucune information sur l’origine du maïs utilisé.  » Frédéric, qui était un spécialiste de la géotechnique dans un bureau, aborde sa première saison de maraîchage et consacre une partie de son temps à rendre visite aux autres paysans bio pour vérifier des trucs, en découvrir de nouveaux : « On apprend sans cesse.  » Le maraîcher a mis deux ans à se préparer et, pour sa première saison, il a décroché un contrat avec la cantine scolaire de sa commune, qui accueille une cinquantaine d’élèves. Un bon début car il n’a que sept ans pour rembourser l’achat d’un tracteur d’occasion, de son matériel et de trois serres achetées neuves 6 000 euros pour couvrir 870 m2. «  Chaque année, je dois ajouter 2 000 euros de semences, et aussi compléter le système d’irrigation. J’ai eu du mal à trouver une banque pour me lancer et, comme je n’ai pas de diplôme agricole, j’ai droit à peu d’aides. De toute façon, il n’existe pas de subvention pour acheter du matériel d’occasion : c’est révélateur du système. Ma compagne est enseignante et moi, pour l’instant, je suis au RSA. L’année prochaine, je devrais pouvoir me payer ce RSA en profitant du bouche-à-oreille pour vendre à la ferme et sur les marchés. D’ici deux à trois ans, j’espère parvenir à 1 000 euros. Notamment avec les fraises, que je viens de commencer. » Il compte aussi sur son petit troupeau de brebis de race solognote.

Comme son collègue du Loiret, Frédéric croit beaucoup à la conjonction d’une multiplication des petites exploitations et d’une consommation très localisée. Une tendance importante puisque, fin 2012, l’Agence bio évaluait à 25 % le pourcentage des exploitations agricoles bio se consacrant principalement aux fruits et légumes. Et les créations de fermes maraîchères sont les plus nombreuses après les vignobles. Cette évolution est encouragée par les achats du consommateur : les fruits et légumes bio locaux viennent en tête des ventes, avec 600 millions d’euros de chiffres d’affaires. Ce qui incite Yorick et Frédéric, leur certification bio comme talisman, à croire à leur succès et à leur viabilité économique.

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