L’art de jongler avec la tradition

Avec FoResT, Jérôme Thomas explore l’essence de sa discipline. Délicat et grandiose.

Anaïs Heluin  • 27 juin 2013 abonné·es

«Cirque Lili », est-il inscrit à l’entrée du chapiteau qui abrite la dernière création de la compagnie Jérôme Thomas. Un nom bon enfant pour un petit édifice surmonté d’une toile rouge dont le jongleur s’était détaché depuis une dizaine d’années pour jouer en salle, et donc s’éloigner de la forme la plus traditionnelle de sa discipline. S’il y revient aujourd’hui, c’est dans l’intention d’interroger l’essence d’une pratique qu’il explore depuis trente ans. Avec la danseuse et manipulatrice d’objets Aurélie Varrin et l’accordéoniste François Baëz, Jérôme Thomas met au point, dans FoResT, une série de haïkus circassiens dont la poésie minimaliste joue avec les conventions attachées au jonglage. Sans les ignorer, mais en leur faisant côtoyer des gestes et des objets du quotidien étrangers à une discipline presque toujours tournée vers le spectaculaire. Un sac en plastique et des baguettes chinoises sont en effet traités avec la même attention que de traditionnelles balles blanches ou des plumes de paon.

Tout est digne de faire cirque, pour Jérôme Thomas. Cette conviction, une scène remplie de copeaux de bois la matérialise subtilement. Comme d’une matrice, les deux jongleurs en sortent leurs accessoires et les y enterrent de nouveau à la fin de chaque numéro.

Jongler, dans FoResT, c’est revenir aux origines du monde, c’est rendre modulables à souhait des formes figées par l’usage. Cela en l’espace de quelques minutes, le temps d’un numéro. Jamais plus, affirme Jérôme Thomas en laissant entre ses poèmes visuels un espace vide, brut. Ces ruptures de rythme sont indispensables à l’harmonie de l’ensemble. L’accordéon tantôt savant, tantôt populaire de François Baëz traduit musicalement le délicat équilibre entre présence et absence que maîtrisent si bien les deux jongleurs. Chacun à sa manière, Jérôme Thomas et Aurélie Varrin oscillent entre effacement derrière leurs objets et expression théâtrale et chorégraphique. Dans ce jeu d’éclipse partielle, ils se montrent aussi fragiles que leur matériel de jonglage disparate. Si ce dernier ne prend vie et sens que sous leurs mains expertes, il en est de même pour les artistes, accordéoniste compris. Le jonglage est art de rencontre entre l’animé et l’inanimé. Et il peuple FoResT d’ambiguïtés, de morts à demi vivants et de vivants à moitié morts qui font de petits riens des instants grandioses.

Culture
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