Syrie : la guerre sur deux fronts

Alors que l’offensive du régime s’intensifie sur le terrain, la communauté internationale continue de tergiverser.

Valérie Tournelle  et  Céline Loriou  • 6 juin 2013 abonné·es

Le conflit syrien se mène sur deux fronts. À Qusair, où l’armée syrienne et le Hezbollah libanais conduisent une offensive de grande envergure contre les rebelles. Et, sur le plan diplomatique, avec la préparation de la conférence dite « Genève II », parrainée par les États-Unis et la Russie. À Qusair, ville stratégique située non loin de la frontière libanaise, l’aviation de Bachar Al-Assad a poursuivi ses bombardements lundi. Et, pour faire bonne mesure, le régime interdit tout accès aux organisations humanitaires. Damas mène également sa bataille sur le plan diplomatique. La Russie a bloqué le week-end dernier une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU demandant à la Syrie d’autoriser les secours dans la ville assiégée. La Coalition a accusé la Russie d’être « devenu un partenaire dans le meurtre de civils innocents ». Pendant que les alliés de Bachar Al-Assad sont actifs sur tous les fronts, la communauté internationale est divisée et tétanisée.

Selon le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, la conférence internationale prévue en juin pourrait être finalement repoussée en juillet. Dans le même temps, l’opposition se divise : la Coalition, qui était parvenue à un compromis instable en incluant 51 nouveaux membres, a enregistré lundi la défection de l’une de ses composantes les plus importantes. La Commission générale de la révolution syrienne (CGRS) s’est retirée en affirmant dans un communiqué que la Coalition « prend des initiatives éloignées de la vraie révolution ». Fondée en août 2011, la CGRS unifie de très nombreux comités locaux. Son objectif est « la construction d’un État démocratique et civil », ni militaire ni islamique. Ce courant a été abandonné par les Occidentaux tandis que le régime était surarmé par la Russie et l’Iran, et que les courants islamistes au sein de l’opposition étaient soutenus par le Qatar et l’Arabie saoudite. Bachar Al-Assad a également poursuivi son offensive sur le terrain de la communication. Interviewé le 30 mai par la chaîne du Hezbollah, Al-Manar, il a affirmé qu’aucune proposition de Genève II « ne sera appliquée sans l’accord du peuple ». On sait ce que « peuple » veut dire dans le discours du Président syrien. Depuis trente ans, aucune élection n’a jamais été libre : tous les sept ans, on demande aux Syriens d’approuver le candidat unique présenté par le Conseil du Commandement de la révolution… À aucun moment il n’a évoqué le bilan, alors que l’Observatoire syrien des droits de l’homme fait état de 96 000 morts en moins de vingt-six mois, dont 35 000 civils, et cinq millions de déplacés.

Depuis le début de la contestation, le régime n’a cessé de gravir les échelons de la violence : de l’arrestation et la torture des enfants de Deraa, à la répression sanglante des grandes manifestations organisées au cours des premiers mois chaque vendredi dans toutes les grandes villes, avant que celles-ci subissent le siège de l’armée à partir de mai 2011. Parallèlement, l’Armée syrienne libre (ASL), initialement constituée de civils, a peu à peu été structurée sur le plan militaire par les Frères musulmans et le Front Al Nosra. Pour Michel Morzière, porte-parole du collectif Urgence solidarité Syrie, « le problème vient du fait qu’une partie des révolutionnaires se tourne vers des groupes radicaux pour avoir accès à des armes ». C’est bien en effet le paradoxe de la position européenne : l’embargo n’a finalement frappé que les courants démocratiques et laïques, et renforcé l’influence d’islamistes eux-mêmes très divisés.

Car, si la Russie et l’Iran marchent main dans la main, l’Arabie saoudite et le Qatar, « parrains financiers » d’une partie de la rébellion ont, eux, entamé un vrai bras de fer. Ainsi, pour contrer l’influence des Frères musulmans, appuyés par le Qatar, l’Arabie saoudite vient de soutenir l’entrée dans la direction de la Coalition du dissident marxiste d’origine chrétienne Michel Kilo… Le moins qu’on puisse dire, c’est que ni les États-Unis ni l’UE ne tiennent à s’impliquer dans ce conflit. En témoigne cette fameuse « ligne rouge » des armes chimiques fixée par Barack Obama. Alors que les preuves s’accumulent, la « ligne rouge » ne cesse de reculer… Quant à l’ONU, elle vient de renvoyer les deux parties dos à dos en publiant un rapport faisant état des violations des droits de l’homme commises tant par le régime que par les rebelles. « Pour l’instant, résume Michel Morzière, on demande aux Syriens de choisir entre deux camps   *: Bachar ou l’islam fondamentaliste. Mais il existe une troisième option, qui correspond à nos valeurs républicaines et laïques, celle de l’armement des groupes rebelles fiables. »*

Monde
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