Égypte : la question de vocabulaire

Washington s’est gardé pour l’instant de parler de « coup d’État ». Des mots qui auraient pour effet la suspension de l’aide américaine.

Denis Sieffert  • 17 juillet 2013 abonné·es

Les événements du 5 juillet au Caire relèvent-ils d’un coup d’État ? Apparemment, cela ne fait guère de doute. Sinon, comment nommer la destitution par l’armée d’un président élu démocratiquement ? Pourtant, les États-Unis se gardent bien d’employer le mot qui fâche. C’est que la reconnaissance du coup d’État entraînerait ipso facto la suppression de l’aide que Washington apporte à l’Égypte, et en premier lieu à l’armée. L’aide militaire américaine s’élève à 1,3 milliard de dollars sur une assistance totale de 1,5 milliard.

Le secrétaire d’État adjoint, Bill Burns, était en début de semaine au Caire, où il devait rencontrer les nouveaux dirigeants, mais aussi des responsables de la société civile et des chefs d’entreprise. Pour éviter d’être piégés dans une contradiction à terme insupportable, les États-Unis voudraient obtenir des garanties sur la suite du processus, en particulier sur un calendrier électoral, ainsi que la libération de Mohamed Morsi. Le nouveau Premier ministre égyptien, Hazem Beblawi, s’est certes engagé à organiser une élection présidentielle à la fin de l’année ou au début 2014, mais l’autre question est de savoir si les Frères musulmans seraient autorisés à présenter un candidat. Au sein du nouveau pouvoir, des divergences apparaissent. Hazem Beblawi, qui peinait toujours mardi à constituer un gouvernement, souhaitait intégrer des Frères musulmans à sa nouvelle équipe. Parallèlement, l’ex-président Mohamed Morsi a subi un interrogatoire en règle, dimanche, sur les circonstances de son évasion de la prison de Wadi Natroun durant la révolte contre Hosni Moubarak, début 2011. Et ce chef d’accusation est lourd de signification. Reprocher à Mohamed Morsi d’avoir pris part au soulèvement contre Moubarak, c’est évidemment renouer symboliquement avec l’ancien régime. Une logique difficilement acceptable pour les démocrates qui ont lié provisoirement leur sort à l’armée pour se débarrasser du pouvoir des Frères musulmans. Si la question de l’avenir réservé aux Frères musulmans, hors-la-loi ou réintégrés dans le champ politique, divise les anti-Morsi, elle divise aussi l’état-major de la confrérie. Il n’est pas exclu que les modérés acceptent prochainement les offres du Premier ministre, mais d’autres, qui s’appuient sur la base du mouvement islamiste, continuent d’exiger le retour au pouvoir de Morsi. Ceux-là ont d’ailleurs appelé lundi à une nouvelle manifestation devant le siège de la Garde républicaine, où 53 personnes avaient été tuées une semaine auparavant.

On voit que la démarche américaine est loin d’être évidente. Elle dépend en tout cas de la résolution de contradictions dans les deux camps – si l’on peut encore parler ainsi – qui divisent la société égyptienne. Une démarche d’autant plus délicate que la presse anti-Morsi suspecte les États-Unis d’avoir fait preuve de bienveillance à l’égard du président déchu.

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