Plantes mutées, OGM masqués

Les variétés manipulées pour résister aux herbicides se développent en France
avec l’aval des pouvoirs publics, qui adhèrent au discours des industriels.

Patrick Piro  • 12 septembre 2013 abonné·es

La semaine dernière, une soixantaine de Faucheurs volontaires ont envahi les locaux de Lorca à Lemud (Moselle) pour y attester la présence de quatre variétés de colza muté, tolérantes à des herbicides. Cette grosse coopérative agricole, expliquent les militants, « vante les mérites de ces variétés aux paysans, à qui l’on cache la véritable nature de ces semences manipulées, pesticides et brevetées ». Fin juillet, à l’initiative de la Confédération paysanne, neuf organisations paysannes ou écologistes avaient écrit au ministre de l’Agriculture pour dénoncer ces plantes, « OGM cachés car elles ont été arbitrairement exclues du champ d’application de la réglementation sur les OGM ». Il n’y a pas de débat, a signifié Stéphane Le Foll, car il s’agit de « mutagénèse ». Soit la mutation d’un gène existant dans la plante afin de lui conférer une propriété intéressante, par la chimie ou les rayonnements. Et non pas de transgénèse, qui consiste à introduire un gène étranger. « Ces plantes ne posent pas de problème nouveau, défend le généticien André Gallais, de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV). La mutagénèse sollicite un mécanisme qui est à la base de l’évolution végétale dans la nature. Mais avec un taux d’occurrence cent fois plus important qu’avec des mutations spontanées sous l’effet du rayonnement cosmique, des UV, etc. »

Les associations alertent depuis 2009, à l’apparition des premières variétés tolérantes aux herbicides (VTH), des tournesols mutés [^2]. En vain. Quatre ans plus tard, 25 % des semis de cet oléagineux seraient des VTH, et même jusqu’à 50 % en Rhône-Alpes, selon la sénatrice PS Nicole Bonnefoy, qui interpellait par écrit Stéphane Le Foll début juillet sur les inquiétudes suscitées par les VTH. Quant au colza muté, la seconde culture concernée à ce jour, il aurait été cultivé sur un millier d’hectares en 2012, indique le ministère de l’Agriculture. Mais il n’existe aucun registre. « Les informations permettant de décrire et de quantifier l’adoption [de ces variétés] sont très rares », constatait une expertise collective sur les VTH rendue fin 2011 par le CNRS et l’Inra. Pour Guy Kastler, de la Confédération paysanne, rien ne bouge parce que les semenciers ont fait de la mutagénèse le pilier de leur stratégie industrielle, tirant les conclusions de l’échec des OGM en Europe. Selon l’agriculteur, les firmes ont marqué un point décisif en obtenant que la mutagénèse, plus simple et moins onéreuse que la transgénèse, soit exclue de la réglementation européenne sur les OGM, ce qui permet depuis de rejeter toute demande d’évaluation. « Elles ne veulent surtout pas voir les plantes mutées soumises à des obligations d’autorisation de mise sur le marché ! » Autre explication à cette invasion sans vagues : les plantes mutées avancent masquées. Les semenciers –  « à l’exception de Syngenta », indique Guy Kastler – ne déclarent pas publiquement leurs brevets « pour ne pas effrayer le public ». De même, lors de l’inscription au catalogue officiel des variétés, ils ne défendent pas leur tolérance aux herbicides, dont le caractère instable provoquerait le rejet de la demande. Les firmes se contentent de vanter les mérites de leurs VTH par voie publicitaire. Pour les opposants, il faut imposer l’évaluation environnementale et sanitaire des méthodes de mutagénèse récentes, « sans rapport avec la sélection de plantes naturellement mutées, pratiquée depuis des décennies et dont provient plus de la moitié de nos cultures alimentaires », souligne Guy Kastler.

La bataille la plus vive se focalise cependant sur les risques environnementaux. Comme le soulignait l’évaluation CNRS-Inra de 2011, l’exemple états-unien n’est pas réjouissant : la généralisation des VTH a développé des résistances chez les adventices, obligeant à forcer les doses d’herbicides. À la pollution croissante des eaux s’ajoute le risque de contamination des plantes sauvages par le gène tolérant aux herbicides. Autre effet pervers : les mutants de tournesol, de colza et de maïs (non encore cultivé) résistent au même herbicide. Dès lors, la rotation des cultures ne freinera même plus l’apparition d’adventices résistantes. Une préoccupation que partage le généticien André Gallais, même s’il rejette sur les agriculteurs la responsabilité d’adopter de bonnes pratiques. Comme le ministère de l’Agriculture. Dans sa réponse à Nicole Bonnefoy, il expose son seul moyen d’action : un « plan d’accompagnement » visant à expliquer aux agriculteurs comment limiter les herbicides. Peu satisfaisant, commente le cabinet de l’élue. Seule petite ouverture : le ministère déplore le manque de transparence des semenciers sur leurs VTH. De là à leur imposer plus de transparence… Quant à modifier la législation européenne, la bataille n’est pas à l’ordre du jour.

[^2]: Voir Politis n° 1053, 21 mai 2009.

Écologie
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