Médias et banlieues, le grand malentendu

Jérôme Berthaut a étudié la construction des clichés sur les quartiers populaires à travers le journal télévisé de France 2.

Erwan Manac'h  • 17 octobre 2013 abonné·es

Pluie de courriers, pétitions, réunions publiques pour un « droit de réponse » : depuis trois semaines, les habitants de la Villeneuve, à Grenoble, s’indignent contre un reportage « sensationnaliste » sur leur quartier, diffusé le 26 septembre par « Envoyé spécial ». Dans ce quartier populaire maintes fois mis à la une, personne ne conteste les difficultés, mais les images embarquées avec la police et la mise en scène nocturne des « voyous » ont provoqué la consternation.

Comment le fait divers s’est-il imposé comme la grille de lecture privilégiée pour parler des quartiers populaires ?

Jérôme Berthaut : C’est une tendance générale. La place du fait divers est en augmentation constante dans les JT depuis dix ans du fait de la concurrence entre chaînes pour l’audience. Sur les chaînes du service public, il devient une priorité avec l’arrivée, au début des années 2000, de cadres venus des chaînes commerciales. Ces chefs ont alors encouragé les journalistes à se rapprocher des sources policières, et à médiatiser la lutte contre la délinquance.

Comment les quartiers sont-ils devenus « la banlieue », un « lieu commun journalistique » ?

Les dispositifs publics comme les ZUP ou les ZUS produisent une « labellisation » qui contribue à homogénéiser les représentations. Dans la rédaction, les commandes de reportages sont généralement définies par des chefs coupés du terrain qui formulent une banlieue hors-sol inspirée des concurrents et des discours officiels, mais souvent déconnectée du vécu des habitants.

Comment expliquer que ces reportages perdurent malgré les critiques ?

Les journalistes se disent opposés aux stigmatisations, mais ils finissent par intérioriser les représentations. Pour répondre dans l’urgence aux commandes, ils adoptent des méthodes de travail qui confortent indirectement les stéréotypes. Par exemple, ils recourent à des intermédiaires qui sélectionnent des habitants conformes aux clichés. Leurs expéditions furtives dans les quartiers génèrent aussi l’hostilité des habitants, qui renforce ainsi les discours sur la violence. Enfin pour leur carrière, il est plus valorisant de rattacher ces quartiers à des phénomènes comme l’économie souterraine ou l’islamisme.