Croissance : la crise de foi

On peut sortir du chômage et de la crise sans croissance.

Jean Gadrey  • 5 décembre 2013 abonné·es

La croyance dans la nécessité et l’inéluctabilité de la croissance s’effrite, y compris en haut lieu. On commence à se poser des questions jusqu’ici soulevées par une petite minorité : si la croissance devait ne pas revenir, ou si elle était désormais très faible, serions-nous condamnés à une régression durable ? Peut-on imaginer des voies de sortie acceptables, voire désirables, une « prospérité sans croissance » ? Le 24 novembre, un article de deux journalistes du Monde, Anne Rodier et Adrien de Tricornot, a pour titre « L’emploi sans croissance ». Il fait une place honorable à des idées de création d’emploi sans croissance, depuis la semaine de 32 heures jusqu’à l’enrichissement de la production en qualité et soutenabilité. Leur commentaire : « Douce utopie ? Pas si sûr. »

Dans le cadre du rapport que le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) doit remettre prochainement au gouvernement, une séance a été organisée en novembre pour que trois des avocats de ce type de transition « post-croissance », dont l’auteur de ces lignes, puissent exposer leurs thèses. Une première. Réunion semblable de députés européens à Bruxelles, en novembre, sur la base d’une étude approfondie de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) intitulée « Une société post-croissance pour le XXIe siècle ». Deux jours de conférence internationale en juillet dernier à l’Assemblée nationale pour écouter et faire dialoguer des partisans de la croissance verte et de la décroissance, et des responsables politiques. De nouveau, c’est une première. Pierre Larrouturou et Michel Rocard publient en janvier dernier La gauche n’a plus droit à l’erreur (Flammarion). Titre du chapitre 9 : « Et si la croissance ne revenait pas ? » Réponse des auteurs : on peut mener des politiques de gauche et sortir du chômage sans croissance.

Quelques hirondelles ne font pas le printemps, et on peut parier que le rapport du CGSP contiendra encore un hymne à la croissance, – verte bien entendu. Mais le basculement d’une croyance aussi enracinée ne peut commencer que par son effritement. Il est en cours. Les raisons du déclin historique des taux de croissance, qui a commencé il y a quarante ans, sont multiples : finitude des ressources naturelles, facteur de plus en plus visible ; transformation d’économies largement industrielle et agricole, secteurs de forts gains de productivité, en des économies où les services regroupent près de 80 % de l’emploi ; « financiarisation actionnariale » de l’économie, qui freine les investissements au bénéfice des dividendes, des intérêts financiers versés et de la spéculation, et augmente les risques systémiques ; politiques d’austérité menées depuis 2008, surtout en Europe.

On pourrait dire : c’est une chose d’envisager une réorientation « sous la contrainte », en regrettant au fond que la croissance nous fasse faux bond. C’en est une autre de contester l’idée même d’une croissance infinie dans un monde fini, ou de rejeter le « toujours plus » au bénéfice du « bien vivre ». Mais peu importe. Les voies d’une crise de foi sont diverses et, comme celles du Seigneur, impénétrables.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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