Evacuations de Roms : la gauche pire que la droite

La France atteint des records en matière d’évacuations de camps et bidonvilles où résident des populations roms. La Ligue des droits de l’homme a publié ce matin des chiffres explosifs qui font figure d’alerte.

Ingrid Merckx  • 14 janvier 2014
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Evacuations de Roms : la gauche pire que la droite
© Photo : DENIS CHARLET / AFP

21 537 Roms ont subi une évacuation forcée en 2013. 10 469 en 2012. 8 572 en 2011. 3 034 en 2010. Le constat est sans appel : la gauche fait pire que la droite en la matière, mais elle fait également pire qu’elle-même puisque le chiffre a quasi doublé en un an.

François Hollande arrivant au pouvoir s’était engagé à limiter les expulsions. « En fait, qu’est ce qui a changé ?, interroge Philippe Goossens, militant de la Ligue des droits de l’homme (LDH) lors d’une conférence de presse organisée ce matin à Paris sur les évacuations forcées en 2013. La gauche a supprimé les aides au retour [qui ne servaient qu’à « faire du chiffre » cependant que les familles partaient pour bénéficier de l’aide et revenaient au bout de quelques mois], ainsi que les charters d’expulsions ; elle a introduit en août 2012 une circulaire conditionnant les évacuations à des solutions de relogement, mais son impact est très faible ; le mode opératoire lors des évacuations n’a pas changé : les policiers débarquent au petit matin, évacuent les baraques et les caravanes et détruisent tous les biens ; on offre quelques solutions d’hébergement à quelques personnes choisies sur une liste mais juste pour quelques jours… »

« Il était tout petit, il faisait froid… »

Jeune mère rom vivant dans un bidonville en région parisienne, Maria Radu, assise à la tribune à côté de lui, opine du chef. En France depuis six ans, elle a vécu plusieurs expulsions dont une, il y a deux ans, pendant qu’elle était à la maternité pour accoucher. À son retour, sa baraque avait été rasée. Elle a passé une semaine dans une voiture avec son fils : « Il était tout petit, il faisait froid… » , souffle-t-elle. Une longue queue de cheval dans le dos et un pull-over noir, elle est là pour donner chair et vie à ces chiffres explosifs que la LDH a choisi de révéler en cette année charnière : le 1er janvier 2014 a marqué la fin des mesures transitoires pour les ressortissants roumains et bulgares, dont les Roms. D’une durée de sept ans, ces mesures transitoires auront été les plus longues de l’Union.

Aujourd’hui, les Roumains et Bulgares ont le droit de travailler en France. En quoi cela va-t-il transformer leur situation en France ? Combien de discrimination à l’embauche vont-ils subir ? Il faudra attendre 2015 pour en tracer le bilan.

L’impact des propos haineux

En attendant, la France est l’un des pays d’Europe qui déplorent le plus grand nombre de contentieux frappant des Roms : crimes et violences, discours haineux, discriminations. « Il y a un problème très grave de respect des droits des Roms en France » , cingle Adam Weiss, président du European Roma Rights Centre (EERC), organisation internationale combattant le racisme et les discriminations anti-Roms.

Selon lui, beaucoup se disent victimes de crimes raciaux, mais ne veulent pas aller porter plainte. Ceux qui le font ne sont pas pris au sérieux par la police. En outre, ils font l’objet de discours haineux proférés par des hommes d’État dont le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls : « Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont en confrontation » avec les populations locales, a-t-il déclaré sur France inter le 24 septembre 2013.

«On ne mesure pas l’impact de ce type de propos, alerte Philippe Goossens. La parole publique se traduit en menaces : à Sarcelles, des Roms ont été blessés par des individus armés ; à Vaulx-en-Velins, ils ont reçu des cocktails Molotov… »

L’année 2013 aura été marquée par une tension anti-Roms continue. Les plus gros problèmes étant des contentieux liés au logement et à la scolarisation. Plus de la moitié des Roms résident en Île-de-France et plus de la moitié des expulsions en Île-de-France ont lieu en Seine-Saint-Denis.

Le ministère de l’Intérieur ne contestera pas ces chiffres, non seulement parce qu’il continue de refuser à communiquer les siens, mais surtout parce que les chiffres récoltés par la LDH – en recoupant des articles publiés dans la presse, des alertes de réseaux militants et les enquêtes des membres de la LDH – font désormais autorité. À tel point que ce sont ces chiffres qui servent de base à la Dihal, la délégation interministérielle à l’hébergement pilotée par le préfet Régnier, qui brille par son silence et son manque de pouvoir.

Évacuations = traumatismes

Les évacuations forcées ont majoritairement lieu dans les grands centres urbains. Elles engendrent un certain nombre de complications : traumatismes pour les enfants en rupture de scolarité, rupture dans l’accompagnement social, le suivi de soins, la recherche d’emploi. Elles sont inutiles en termes d’expulsions puisqu’une grosse évacuation a pour effet de créer plusieurs petites réinstallations un peu plus loin mais aussi coûteuses. Elles sont précédées d’un harcèlement policier qui vise à obtenir le départ des familles avant une évacuation – c’est autant de personnes en moins à prendre en charge ensuite. Les opérations s’accompagnent de distribution d’obligation de quitter le territoire (OQTF), normalement précédées d’une enquête personnalisée qui a très rarement lieu.

« Ce qu’il faut bien comprendre , assène Dominique Guibert, vice-président de la LDH, c’est que les évacuations forcées sont au centre du mode de gestion décidé par le gouvernement. Mais nous croyons en la force sociale, petit à petit, il se crée une jurisprudence qui devrait permettre de gagner des batailles… »

Société
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