Du nucléaire à la GPA : Les débats interdits

Si aucune société n’est viable sans tabous, une démocratie ne peut exister sans débats.

Michel Soudais  • 13 février 2014
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Ce n’est pas la rue qui gouverne. Qui n’a pas entendu, un jour, cette proclamation des gouvernants pour justifier le passage en force d’un projet de loi ou la mise en œuvre d’une réforme ? Cette sentence est un classique de tous les gouvernements pour signifier qu’il n’y a rien à négocier, ni même à discuter. En ce mois de février, pourtant, la rue a bel et bien imposé ses vues au gouvernement. Et sa censure au pays. Non seulement le projet de loi sur la famille, comportant des dispositions très attendues et peu contestées, ne sera pas débattu, mais les parlementaires socialistes sont désormais sommés par des dirigeants de leur parti de se taire sur la procréation médicalement assistée (PMA), afin, selon la formule de Jean-Christophe Cambadelis, de « ne pas ajouter du trouble au trouble ».

L’accès des couples de femmes à cette pratique médicale, pourtant promis par le candidat Hollande, rejoint ainsi le droit de vote des étrangers, sujet qu’il n’est plus question d’inscrire à l’ordre du jour des débats de l’Assemblée nationale, au cimetière des promesses enterrées et des débats interdits. Pour des raisons qui ne tiennent pas forcément à l’absence de courage de nos gouvernants, qui a motivé ces deux mises à l’index, bien d’autres questions cruciales sont aujourd’hui prohibées dans l’espace public. C’est le cas de l’élection du président de la République au suffrage universel ou de la dissuasion nucléaire, que l’on ne saurait remettre en cause sans être taxé d’irréalisme. C’est aussi celui de la croissance, dont la critique est un des tabous – le mot n’a ici rien de galvaudé – les plus solidement ancrés de la pensée économique dominante ; plus encore que celle de l’euro, une monnaie unique élevée à la dignité de religion. D’autres ne souffrent plus la moindre interrogation. La Françafrique ? Disparue, nous jure-t-on. Comme nos colonies. Qui, en effet, entend encore qualifier ainsi nos départements et territoires d’outre-mer ?

Si aucune société n’est viable sans tabous, une démocratie ne peut exister sans débats. Cette dernière ne vit et ne prospère que par l’organisation de dissensus quand le consensus installe un totalitarisme qui étouffe la pensée. Raison pour laquelle la liberté d’expression, avec la possibilité d’avancer des opinions très diverses et de les argumenter publiquement, est au fondement de notre démocratie. Mais il ne s’agit là que d’un droit formel qui requiert au moins deux conditions pour s’exercer.

La première est la considération. Sans reconnaissance d’un statut d’alternative aux opinions adverses, il n’est pas de débat possible puisque, au nom d’opinions réputées correctes, toute pensée qui s’en écarte peut être stigmatisée. C’est flagrant pour tout ce qui touche à la construction européenne depuis que l’idéologie libérale impose son hégémonie. La seconde condition tient à l’existence d’un pluralisme médiatique. Modestement, nous nous employons à le faire vivre quand la concentration des médias et la censure économique exercée par le biais de la publicité l’entravent.

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