« Tante Hilda ! » : entre la bulle et le bunker

Dans Tante Hilda ! , Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux fantasment un combat jubilatoire entre le capitalisme dévorant et l’écologie puriste. Une comédie animée splendidement réalisée.

Ingrid Merckx  • 12 février 2014 abonné·es

L’écolo vit sous cloche. Un palmier auburn sur la tête, pantacourt et débardeur, lunettes rondes, petit foulard enroulé négligemment comme discrète touche d’élégance, Hilda est un prototype. Botaniste qu’on devine de haut vol, elle vit dans des serres magiques, sorte de jardin anglais semi-fantastique, peuplé d’essences rares perchées sur une colline, et hérité de ses parents, qui sont devenus gentiment séniles. Sans-mari-sans-enfant, elle s’occupe d’eux avec tendresse et parle à ses plantes, qu’elle appelle toutes « mes chéries ». Si elle n’était pas capable de prises de décision radicales et de colères noires, elle passerait pour une douce dingue.

Surtout par contraste avec Dolores, PDG gargantuesque de l’entreprise qui porte son nom, boulimique des profits générés par des recherches scientifiques sur les GMO, anagramme sans équivoque possible. Laissant déborder sa graisse de robes rouge sang, bileuse, autoritaire, se gavant de miel jusqu’à l’overdose, accro aux massages et aux bains moussants, hurlant à faire péter les murs et allergique à toute forme de végétal, « la Dolo » vit dans un bunker. C’est l’une des grandes originalités du scénario de Tante Hilda !  : deux personnages de femmes qui ont passé la quarantaine (avec les voix de Sabine Azéma et de Josiane Balasko) incarnent dans ce film d’animation le combat suprême entre le capitalisme dévorant et l’écologie puriste. Entre elles, les hommes font pâle figure : des scientifiques face blanche et face noire, dont la dangerosité potentielle est fonction du degré de conscience qu’ils accordent à leurs travaux ; un Président falot qui se laisse berner par la croissance ; des hommes de paille aussi dégénérés que les plantes aux GMO vont le devenir… Car c’est quand même ça, le but de cette comédie animée : illustrer, exagérer, caricaturer le risque qu’il y a à manipuler la nature. Avis à ceux qui n’auraient pas compris ! La céréale Attilem, qui pousse sans eau plus vite que la lumière, va régler le problème de la faim dans le monde, et enrichir la Dolo jusqu’à épuisement des sols…

Jacques-Rémy Girerd est un militant de la cause. La Prophétie des grenouilles (2001) traite subtilement des dangers du réchauffement climatique, Mia et le Migou (2008) de la déforestation, Ma petite planète chérie  (2010) rassemble neuf historiettes écolos… Cette fois, le créateur du studio français Folimage réalise avec Benoît Chieux (directeur artistique) une comédie jubilatoire : le fauchage en plein champ par une Hilda hors d’elle qui se lance dans une séance de kung-fu nocturne et ravageuse en est peut-être un des meilleurs exemples. Même si c’est pour se morfondre dans un fourgon un quart d’heure après… Les céréales Attilem sont bleu pétrole et grimpent comme des protubérances obscènes et camées, les fleurs d’Hilda, muticolores, diffusent un parfum enchanté. Elles prennent même une dimension fantasmatique pour mimer leur besoin de s’émanciper de la réserve dans laquelle Hilda les a confinées… pour les protéger. Le film se fait alors quasi psychédélique. Hilda, telle une abeille survoltée, saute d’une corolle géante à l’autre, cependant que la force de la nature explose dans le ciel. Apothéoses du propos et du dessin conjointes : les 1 300 décors peints à la main et les 137 800 dessins d’animation, réalisés pendant sept ans et montés image par image par 223 artistes et techniciens, faisant alors montre de toute leur splendeur, sur une compo électro-rock judicieuse.

Cinéma
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