« Aimer, boire et chanter », d’Alain Resnais : libres perspectives

Aimer, boire et chanter, l’ultime film d’Alain Resnais, confirme son éternelle jeunesse.

Christophe Kantcheff  • 26 mars 2014 abonné·es
« Aimer, boire et chanter », d’Alain Resnais : libres perspectives
© **Aimer, boire et chanter** , Alain Resnais, 1 h 48.

Aimer, boire et chanter, un film « ouvrant de nouvelles perspectives »  ? C’est ce que signifiait l’Ours d’argent-prix Alfred-Bauer, que le film a reçu au festival de Berlin en février. Et en effet, alors qu’Alain Resnais, à plus de 90 ans, souffrait dans son corps, il signait là son œuvre ultime qui trace de « nouvelles perspectives » parce qu’elle est avant tout une œuvre libre. C’est le plus important des héritages que laisse l’auteur d’ Hiroshima mon amour, cet éternel jeune homme : sa capacité à s’arracher aux lois de la gravitation qui contraignent le cinéma et l’empêchent trop souvent de s’élever, telles l’injonction du naturalisme (voire, avec ce film, du réalisme), celle du grand sujet ou encore celle du scénario « bien ficelé »…

Aimer, boire et chanter rappelle aussi l’impertinence du chercheur de formes au moyen de genres impurs ou d’objets relevant d’une culture non prestigieuse : c’est ici l’adaptation d’une pièce, Life of Riley, d’un auteur « commercial », Alan Ayckbourn, qu’il avait déjà adapté pour Smoking/No smoking (1993) et Cœurs (2006), ou bien encore la bande dessinée. Les premiers plans d’ Aimer, boire et chanter donnent le ton. Il y a d’abord un travelling avant, sur une route, à travers la campagne anglaise – les seules images du film en espace naturel –, puis le dessin d’une maison (signé du bédéiste Blutch), qui indique où habitent les personnages que l’on va découvrir, puis, en l’occurrence, Kathryn (Sabine Azéma) et Colin (Hippolyte Girardot), qui évoluent dans un décor de théâtre, des rideaux figurant les murs ou des extérieurs. Avec le temps, Alain Resnais a allégé son dispositif de tournage (c’était déjà le cas avec le film précédent, Vous n’avez encore rien vu ), comme s’il combattait toutes les pesanteurs. L’intrigue, finalement, n’a qu’une importance secondaire. Elle a surtout pour fonction d’offrir une nouvelle variation sur les heurs et malheurs de l’amour et de la vie de couple sur la durée. L’action tourne autour de George, qu’on ne verra jamais mais qui est omniprésent dans l’esprit des autres personnages, en raison de la grave maladie dont ils le savent atteint. Avec Sabine Azéma et Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain, Caroline Silhol et André Dussollier tissent avec esprit et harmonie cette comédie désenchantée. Là réside d’ailleurs le plus grand plaisir d’Alain Resnais : filmer ses acteurs, les nouveaux venus dans sa « troupe » comme les anciens, auxquels il n’aura jamais cessé d’accorder sa tendresse.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes