Le 8 mars (par légère anticipation)

Le 8 mars est en principe la Journée des femmes. Il y a eu le temps des célébrations (et notamment les grands défilés dans les pays du socialisme réel). Il y a eu aussi le dépassement post 68 et la ringardisation d’une telle fête dans l’euphorie des conquêtes successives. Aujourd’hui dans une Europe où les reculs se répandent (de la « Manif pour tous » proclamant la complémentarité des sexes -comme en Tunisie !- au lobby espagnol anti-IVG en passant par la Hongrie, le Portugal et d’autres), c’est plutôt le temps de la gueule de bois.
_ L’Economie sociale est-elle l’ilot de féminisme dont nous pourrions rêver ? Est publié ci-dessous un texte sur cette épineuse question, publié dans le supplément de l’Huma du 4 mars et que je cosigne avec mon ami Stéphane Aubouard.

Jean-Philippe Milesy  • 4 mars 2014
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*Qu’on la considère sous l’angle du salariat ou de la gouvernance, l’Economie
sociale et solidaire donne une vision radicalement différente de son rapport
à la mixité.
_ Si dans le premier cas, les chiffres peuvent paraître flatteurs – l’emploi
des femmes y est très majoritaire avec 66 % des effectifs – côté
gouvernance, force est de constater que le pédigrée type du responsable ESS en France reste figé dans l’immuable triptyque « sexagénaire, gaulois,
mâle ».
_ Aucune différence avec le monde de l’entreprise capitaliste
classique sur le sujet. Pire encore, pour une économie qui se veut
émancipatrice, les mêmes injustices structurelles de genre se retrouvent
bien enracinées. Concernant les salaires par exemple, l’Insee rappelle que,
dans l’ESS, l’écart de rémunération moyen entre hommes et femmes dans le
cadre d‘un CDI à temps complet, est de 6500 euros annuel brut. 29 000 euros pour les femmes contre 35 500 euros pour les hommes. A noter que les écarts de rémunérations les plus importants se situent au niveau des postes d’encadrement où les femmes sont majoritaires. En effet, dans l’ESS comme dans le secteur public plus d’un cadre sur deux est une femme. Cette
économie se démarque donc du secteur privé sur ce point là.
_ Mais les secteurs d’activité dans lesquels ces femmes travaillent restent les mêmes que ceux où elles sont habituellement surreprésentées dans l’économie
classique. C’est à dire l’action sociale (75%), l’enseignement (63%), la
santé (79%) ou encore les métiers liés à la finance (61%). Dans le cadre de
l’ESS, cela se traduit par une surreprésentation dans les associations, les
mutuelles et les fondations où elles représentent 70% des salariés, tandis
qu’elles atteignent péniblement 45% de représentation dans les coopératives
(27% seulement dans les SCOP). Enfin – là encore l’ESS ne déroge pas à la
règle – les femmes occupent moins d’emplois à temps complet que les hommes avec seulement 55% contre 75% pour les hommes.

Alors d’où peut bien provenir cette inertie au sein de l’ESS ? Des
explications peuvent être facilement avancées. Le fait par exemple
qu’historiquement, les effectifs d’adhérents et des coopérateurs (Scop,
coopératives d’entrepreneurs ou d’agriculteurs) sont majoritairement
masculins de même que chez les sociétaires de banques et de mutuelles où
survit encore la notion de « chef de famille ». Il y a ensuite le
déterminisme du métier (comme les chiffres ci-dessus le démontrent) avec
des femmes essentiellement recrutées dans le tertiaire, qu’elles soient
salariées dans de petites associations ou dans de grandes administrations
bancaires ou mutualistes.

Ce qui en appelle à la question de la démocratie au sein de ces structures.
Récemment à l’initiative du parti communiste français (voire l’Humanité du
24 janvier), plusieurs acteurs de l’Economie sociale et solidaire se sont
réunis dans le cadre d’un « arc solidaire » voué à relier les différentes
expériences des uns et des autres dans leurs secteurs respectifs. La
démocratie a été au centre des débats, avec une question principale : «
comment sortir de la démocratie délégataire, cette démocratie pyramidale que la Ve République a instaurée ? », comme l’a rappelé Jean-Claude Mairal, élu PCF de l’Allier. En effet, dans les Scop, les Scic, les associations ou
encore les mutuelles, la délégation pose problème. Avec pour résultat une
forte abstention et des instances qui se renouvellent par cooptation ou par
élection dans un certain entre soi. Un « renouvellement » qui de fait
s’oppose à tout « renouveau ». Aussi une forme de discrimination positive
peut-elle être utile. Par exemple, à la MACIF qui mobilise un nombre
conséquent d’adhérents, des mesures volontaristes ont été prises lors de la
dernière assemblée générale pour assurer une meilleure représentation des
jeunes générations…et surtout des femmes.

Mais le problème reste globalement posé : comment l’ESS peut-elle incarner
une alternance économique, sociale, et citoyenne en s’abîmant dans la
banalité d’une domination masculine ?
_ Des mouvements associatifs tentent de faire bouger les lignes. Ainsi, la
Ligue de l’Enseignement, premier mouvement d’éducation populaire en France, centre depuis quelques années les travaux de ses AG sur le thème « Faire société » en affirmant franchement et régulièrement l’égalité homme-femme et la participation des minorités. Ce n’est pas rien à l’heure où des mouvements qui rencontrent l’adhésion de nombreux français (et
malheureusement de françaises), entendent retourner à l’autorité d’un «
pater familias » militant pour une idée de complémentarité des sexes et non
pour celle d’égalité, affirmant la place assignée à la femme et non la
compréhension de l’humain dans sa diversité et sa complexité comme nous
l’apprennent par exemple les « genders studies » vouées aujourd’hui aux
gémonies. Ce n’est pas rien à l’heure où l’IVG se trouve remise
fondamentalement en cause au-delà des Pyrénées (mais aussi en Irlande, en
Pologne, en Hongrie, à Malte pour ne prendre que des pays de l’UE ) ; A
l’heure enfin où la compétitivité fait oublier les actions d’égalité
salariale.Tout cela constitue un tout.

Dans ce contexte l’idée d’une Economie réellement sociale et solidaire,
engagée dans un processus de transformation sociale donne aux entreprises et structures de l’ESS des obligations quasi morales en terme de féminisme. _ En ce sens les initiatives sociales des femmes africaines ou
latino-américaines, des grandes coopératives de femmes de l’Inde ou du
Bengladesh peuvent être des exemples à suivre. Ces structures pourraient
aussi vouloir se montrer dignes de l’action de Geneviève Anthonioz-de Gaulle
aujourd’hui « panthéonisée » mais aussi de nombreuses militantes anonymes
qui portent leur part – et plus encore – de la solidarité et de
l’émancipation des femmes.
Dans le cadre de l’ESS comme partout ailleurs la femme est l’avenir de
l’homme. Le célèbre vers d’Aragon reste plus que jamais d’actualité.
*

Stéphane Aubouard et Jean-Philippe Milesy

Publié dans
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Temps de lecture : 5 minutes
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