Marseille : l’éveil politique des quartiers nord

Longtemps ignorés par les élus, les arrondissements populaires reviennent sur la scène militante avec la campagne électorale.

Fériel Alouti  • 6 mars 2014 abonné·es

C’était en janvier dernier. À l’aube, un petit groupe accroche une banderole au portail du chantier des Docks libres. Dessus, quatre lettres : « CQPM », pour Collectif des quartiers populaires de Marseille. Ce mouvement citoyen lancé à l’été 2013 dans les quartiers nord de la ville organise sa première opération. Le collectif est venu soutenir des jeunes de la cité Bellevue, dans le IIIe arrondissement. Objectif : bloquer l’accès au chantier du promoteur pour le forcer à embaucher des habitants du quartier. Quelques jours plus tard, mission accomplie. Une dizaine d’emplois sont décrochés. Créé pour « promouvoir des solutions efficaces et dénuées de démagogie contre les inégalités sociales   », ce collectif témoigne du réveil citoyen initié dans les quartiers nord de Marseille.

Tout commence le 1er juin 2013 lorsque plusieurs centaines d’habitants, las des règlements de comptes, organisent une marche dans le centre-ville. Trente ans après celle de 1983 pour l’égalité et contre le racisme, ces Marseillais, d’habitude peu enclins à manifester, battent le pavé contre toutes les formes de violence. « On essayait depuis deux ans de mener une initiative, mais l’inertie des quartiers est telle que les gens se mettent en branle seulement quand ils n’en peuvent plus. Après quarante morts, ils n’avaient plus le choix   », explique Mohamed Bensaada, une des locomotives du CQPM. S’ensuivent alors plusieurs réunions publiques et la constitution de groupes de réflexion. Le CQPM se forme et publie 101 propositions qualifiées « d’urgence sociétale ». Emploi, éducation, sécurité, logement : tout y passe. Le collectif, dont le principal objectif est de réformer la politique de la ville, est reçu par les institutions, notamment par la préfecture.

Aujourd’hui, élections municipales obligent, certains membres ont choisi de se lancer dans la bataille. «   Quand on a publié ces propositions, le but était de peser sur le débat municipal   », explique Mohamed Bensaada, troisième sur la liste du Front de gauche dans les XIIIe et XIVe arrondissements. « Pendant cette période, personne ne doit parler au nom du collectif. On est au service de tout le monde, pas d’un parti   », prévient Hanifa Taguelmint, candidate dans le même secteur sur la liste PS. Ancien soutien de la marche de 1983, c’est elle qui a inauguré le meeting de Patrick Mennucci, candidat socialiste à la mairie de Marseille. La militante a fustigé la politique de la ville envers les zones pauvres. «   Les quartiers nord ne souffrent pas de tares génétiques, mais d’un manque d’investissement politique sur la jeunesse et l’emploi   », a-t-elle lancé. Après elle, d’autres citoyens ont pris le micro. Presque tous ont parlé de cette fracture sociale qui menace l’avenir de la deuxième ville de France. « Les élus doivent comprendre que, s’ils ne font rien, la ville éclatera. L’urgence sociale, c’est maintenant   », prévient-elle.

En parlant d’une ville « abîmée », « défigurée », « épuisée », la gauche marseillaise s’est emparée du sujet. Contrairement aux élections de 2008, les quartiers nord sont devenus un enjeu dans ces municipales. Les raisons de cette évolution sont multiples et d’abord politiques, selon Mohamed Bensaada : « Jusqu’en 2008, le PS s’appuyait sur un vote acquis. Pas besoin de faire un travail de terrain, le système clientéliste suffisait. Mais l’actualité a changé les choses. Les gens ont décidé de prendre leur destin en main.   » La condamnation en première instance de la députée PS Sylvie Andrieux, élue dans les quartiers nord, à un an de prison ferme, cinq ans d’inéligibilité et 100 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics à des fins clientélistes, en mai dernier, y est pour beaucoup. De son côté, Hanifa Taguelmint pense que «   les trente ans de la marche ont [aussi] joué. Les vieux militants se sont dit : les années ont passé et quels résultats ?   ». Du coup, se rassembler pour peser sur le débat ou se présenter pour « faire partie de ceux qui décident » est apparu comme évident. Pour le Parti socialiste, ce sont les primaires citoyennes, organisées à l’automne pour élire le candidat à la mairie de Marseille, qui ont impulsé ce réveil. « Avec ces élections, le PS a compris que les gens votaient quand ils avaient en face d’eux quelqu’un qui les comprend, soutient Samia Ghali dans son fauteuil de maire de secteur. On a assisté à une émeute citoyenne et pacifique, une chance pour les habitants. On ne les regardera plus jamais de la même manière. » Celle qui incarne pour le grand public la voix des quartiers nord a fait naître de l’espoir chez les habitants et convaincu beaucoup d’abstentionnistes de se déplacer aux urnes, parfois en mettant des minibus à leur disposition.

Une réserve d’électeurs que Pape Diouf espère aussi séduire. L’ancien président de l’Olympique de Marseille, candidat sans étiquette, a lui aussi choisi de se présenter dans le 7e secteur, en plein dans les quartiers nord. À la tête d’une liste créditée de 4 % dans un sondage Ifop, le candidat a rassemblé des personnalités citoyennes et des militants issus de ces quartiers. Pour lui, « tous les problèmes de la ville partent de l’inégalité sociale   ». « Sécurité sanitaire, éducation, violence, manque de transports, d’équipements sportifs : aujourd’hui, la ville est quasiment coupée en deux. Si on règle ça, on règle 80 % des problèmes de Marseille   », soutient-il. À droite, les quartiers nord, on les observe surtout de loin, et la fracture sociale, on la vit plutôt comme du « Marseille bashing ». « Comme dans toutes les villes, il existe des quartiers plus favorisés que d’autres. Dans le nord, il y a aussi des noyaux villageois très favorisés   », insiste Yves Moraine, porte-parole du candidat UMP Jean-Claude Gaudin. Alors que beaucoup accusent le maire sortant de ne jamais s’être vraiment investi dans ces quartiers, acquis à la gauche, lui assure le contraire. « En 50 ans, j’ai sans doute fait beaucoup plus que tous les autres maires   », dit-il. Et de rappeler, la création des zones franches et la poursuite du programme de rénovation urbaine Euroméditerranée. Deux projets dont les principaux bénéficiaires ne vivent pas dans les quartiers nord. Passé les municipales, ces quartiers seront-ils toujours un enjeu pour les politiques ? «   Le clientélisme est en fin de course, estime Mohamed Bensaada. Aujourd’hui, il y a une prise en compte réelle des quartiers nord. » Faire en sorte que les militants soient considérés comme «  de vrais interlocuteurs   » et pas seulement comme « une variable d’ajustement noire ou arabe   » n’est pourtant pas acquis. « Si les partis s’ouvrent à la diversité, c’est par obligation morale, non parce qu’ils y gagnent des voix   », remarque Hanifa Taguelmint. La preuve, pour cette novice en politique : « pas simple » d’être candidate sur les listes. «   Personne ne nous a appelés pour nous dire : “Venez, j’ai une place pour vous.” On a dû se battre. Certains sont là depuis vingt-cinq ans et n’ont pas l’intention de partir. »

Pour Mohamed Bensaada, déjà investi en politique, le plus important, en tant que citoyen issu de « l’immigration postcoloniale », ce n’est pas forcément d’être candidat. « Si les élus prennent les problèmes des quartiers à bras-le-corps sans nous, je serai le plus heureux du monde. En fin de compte, on s’en fout de la diversité, le plus important est que les élus sortent ces quartiers du marasme économique dans lequel ils se trouvent. »

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