Algérie : Les vrais problèmes absents de la présidentielle

Le camp d’Abdelaziz Bouteflika, grand favori de l’élection de ce 17 avril, a évité la question du chômage et de la dépendance pétrolière.

Denis Sieffert  • 17 avril 2014 abonné·es

Rares sont ceux qui se hasarderaient à pronostiquer une défaite du président sortant Abdelaziz Bouteflika, qui, malade et quasiment absent de la campagne, devrait tout de même rempiler pour un quatrième mandat à l’issue du scrutin de jeudi.

Les partisans de « Boutef » ont mené campagne sur les thèmes de l’ordre et de la stabilité, brandissant l’épouvantail des révolutions arabes et diabolisant jusqu’au ridicule son principal rival, Ali Benflis. Un adversaire parfois qualifié de « terroriste », alors que cet ancien Premier ministre, candidat malheureux en 2004, est un pur produit du système et un « réformateur timide, selon l’expression de l’historien Benjamin Stora [^2], comme il en apparaît périodiquement dans l’histoire récente de l’Algérie ». Bouteflika réunit sur son nom les principaux « décideurs » du pays que sont l’armée et, de plus en plus aujourd’hui, de nouveaux entrepreneurs. Les militaires et les « services » tirent toujours les ficelles, même si Bouteflika a réussi, particulièrement entre 1999 et 2005, c’est-à-dire avant sa maladie, à se ménager une certaine autonomie en écartant l’un des principaux responsables de la répression anti-islamiste de la guerre civile des années 1990, le général Lamari. Mais la hiérarchie militaire, incarnée notamment par le général Toufik, constitue toujours, selon Stora, « la colonne vertébrale » du système. Un facteur de conservatisme qui explique en grande partie que les partisans du candidat sortant esquivent soigneusement les vrais problèmes que sont le chômage massif des jeunes et la dépendance pétrolière du pays. Le chômage, en particulier, est un fléau « visible à l’œil nu dans les rues d’Alger », note Stora, et ce dans un pays où la moitié de la population a moins de 28 ans. L’autre grand dossier que les amis de M. Bouteflika se gardent bien d’aborder, c’est la rente pétrolière. « L’économie, rappelle Stora, est dépendante à 97 % du gaz et du pétrole, alors que tout le monde sait que ces ressources vont bientôt se tarir. » Malgré ces soutiens traditionnels et tout-puissants, les partisans d’Abdelaziz Bouteflika ont mené une campagne beaucoup moins facile qu’ils ne le pensaient. Ali Benflis, qui aurait pu être une sorte de « Gorbatchev algérien », a fait salle comble au cours de ses meetings. Ce qui est loin d’être le cas des amis de Bouteflika, handicapés par l’âge (77 ans) et surtout l’état de santé de celui que certains surnomment « le candidat fantôme » et qui n’est pratiquement jamais apparu, sauf une fois – et péniblement –, sur le petit écran. Mais le rouleau compresseur médiatique des télévisions, dévouées à la cause du Président, devrait suffire à lui assurer une confortable victoire.

La campagne a cependant été animée, notamment avec l’apparition du mouvement « Barakat » (« Ça suffit ! »), qui a incarné l’opposition à un quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Un mouvement composite qui, comme l’analyse Benjamin Stora, « est une tentative contre le blocage des partis existants et un renouveau face à la démoralisation résultant de la paralysie de la politique organisée ». Barakat symbolise aussi l’émergence de la jeune génération. Ses animateurs ont repris le cri de colère des Algériens quand, à la fin de la guerre d’indépendance (1954-1962), les clans issus du Front de libération nationale (FLN) ont commencé à se déchirer. Pour Barakat et sa principale porte-parole, Amina Bouraoui, une gynécologue de 38 ans, « un quatrième mandat constitue un affront supplémentaire pour les citoyennes et les citoyens ». Ce mouvement témoigne de la vitalité de la vie politique en marge du système, et de l’arrivée des réseaux sociaux dans la campagne électorale. Mais rien ne dit que ses partisans n’iront pas grossir les rangs des abstentionnistes. Une abstention qui pourrait être importante, car l’incrédulité reste très forte au sein de la population, qui ne croit pas que l’élection pourra changer la situation économique et sociale.

[^2]: À lire parmi les ouvrages de Benjamin Stora : les Guerres sans fin. Un historien, la France et l’Algérie , réédition en poche, Fayard/ Pluriel (2013).

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