Daniel Cohn-Bendit : « Il faut se mêler au combat européen »

Pour Daniel Cohn-Bendit, la construction européenne est avant tout un long processus dont il faut accepter les lenteurs. Il défend ses avancées en termes de démocratie, de droits fondamentaux ou d’environnement.

Denis Sieffert  et  Louise Pluyaud (collectif Focus)  • 15 mai 2014 abonné·es
Daniel Cohn-Bendit : « Il faut se mêler au combat européen »
© Photo : AFP PHOTO / JOEL SAGET

À la veille de quitter le Parlement européen, l’emblématique leader des Verts explique pourquoi l’Europe est, selon lui, le seul espace pertinent pour le combat politique et écologique. On lira ci-contre une analyse tout à fait divergente.

On peine à trouver quelque chose de positif dans la construction européenne et dans les résultats du Parlement européen… Quel bilan tirez-vous de ces dernières années ?

Daniel Cohn-Bendit : Je ne suis pas d’accord. Au cours des cinq dernières années, la construction démocratique de l’Europe s’est poursuivie. Bien sûr, plus on avance dans ce chantier, plus on s’aperçoit des difficultés qu’il y a à construire un espace politique supranational. Mais, lorsqu’on a pris conscience de ces difficultés, on peut mettre en place une méthodologie de débats institutionnels. En France, j’entends que cette construction démocratique européenne est trop lente. Mais combien de temps a duré celle de la France ? Il a fallu plus de cent cinquante ans depuis la Révolution française, en passant par les années glorieuses du Front populaire, pour que les femmes obtiennent enfin le droit de vote ! Certes, il faut l’avouer, emmener des peuples vers de tels changements n’est pas facile. Mais il n’a pas été aisé non plus d’emmener les Français vers la laïcité. Quant aux Allemands, ils sont persuadés aujourd’hui qu’ils ont toujours été génétiquement démocrates. Or, il me semble qu’en observant leur histoire on trouve quelques périodes assez troubles au cours desquelles les valeurs démocratiques n’étaient pas très présentes…

Ce qui compte pour vous, c’est le processus…

Oui. Prenons l’exemple de la politique agricole commune (PAC). La PAC votée n’est pas celle que souhaitaient les écologistes. On a perdu, mais elle est dans l’espace européen. Il y a eu un véritable débat à propos de ce qu’elle doit être. De même sur la régulation bancaire : d’accord, on ne va pas assez loin, mais il y a un véritable bras de fer avec les gouvernements. Le Parlement européen a parfaitement joué son rôle. Les eurodéputés posent les questions d’aujourd’hui.

Certes, l’histoire est lente, mais, s’agissant de l’Europe, va-t-elle dans la bonne direction ?

On ne va jamais dans la bonne direction. C’est cela, l’histoire des êtres humains. Dans quel pays du monde suit-on toujours la bonne direction ?

Citez-nous quand même quelques avancées…

La Charte des droits fondamentaux est l’une des colonnes vertébrales de la construction européenne. Et en ce qui concerne la politique environnementale, les majorités européennes qui émergent sont plus progressistes que toutes les majorités nationales, la France comprise. À propos du réchauffement climatique, l’Europe a finalement fait marche arrière sur ses objectifs. Cependant, nous avons pris conscience dans ces débats de notre force de persuasion. Nous devons aller plus loin à l’échelle européenne, parce qu’au niveau national, c’est un match où l’on n’existe pas. Il faut aussi parler du problème Alstom. La seule perspective pour l’entreprise, c’est de recourir à un pôle européen de l’énergie et à un pôle des transports. C’est à ce niveau qu’on posera la question du nucléaire. La nationalisation, même temporaire, est impossible. Aujourd’hui, seul un investissement européen pourrait faire émerger ces pôles nécessaires à des géants économiques comme Alstom ou son repreneur potentiel, Siemens. Cela fait trois ans que les écologistes réclament un grand projet industriel européen sur l’énergie et les transports. Les tramways représentent l’avenir des transports publics dans les petites et moyennes villes. Il faut donc rénover le parc de tramways dans l’Europe de l’Est, de la Hongrie à la Pologne en passant par la Slovaquie. L’Europe, aujourd’hui, est le seul espace où existe l’investissement nécessaire pour sortir certaines sociétés de la crise et les aider à se moderniser industriellement. La souveraineté française est balayée par la mondialisation.

On nous avait dit que l’Europe permettrait de résister à la concurrence, or on a au contraire l’impression que la concurrence fait rage au sein même de l’Europe, notamment avec l’Allemagne. Ce n’est pas votre avis ?

Pour moi, l’Europe fédérale est le seul espace où l’on pourra enfin compléter la démocratie européenne. En Allemagne, le chômage est continuellement en baisse, les rentrées fiscales sont de plus en plus importantes. Tout simplement parce que les Allemands ont un tissu industriel avec des petites et moyennes entreprises.

**Il y a moins de chômage, mais au prix de plus de précarité et de pauvreté… **

Certains disent qu’il y a une grande précarité. Mais l’Allemagne a fait des concessions, alors que la France, avec sa rigidité sur le marché du travail, a fait le choix du chômage. L’Europe est un combat. Et qui ne se mêle pas à cette bataille sacrifie l’avenir des Français, des Allemands et des autres.

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