Le pari de l’espoir

La gauche est-elle capable de faire taire les éternels sceptiques qui vont nous répétant que les querelles de chapelles sont aussi immuables que le Massif central ou les Vosges ?

Denis Sieffert  • 4 juin 2014 abonné·es
Le pari de l’espoir
© **N. B.** Nous accueillons cette semaine sur Politis.fr un nouveau blogueur, « le Yéti », qui a quitté Rue 89 pour nous rejoindre. Et nous entamerons la semaine prochaine un blog thématique sur la Coupe du monde de football. Enfin, nos excuses à nos lecteurs pour une faute dans l’édito de la semaine dernière. Le passage de dernière minute d’un pluriel en singulier a transformé « fourvoient » en « fourvoit » au lieu, bien sûr, de « fourvoie ». Comme disait notre une : à qui la faute ? Je ne vous le dirai pas…

Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai aimé Yannick Noah tennisman. Et déjà moins le musicien. Mais je n’aime pas du tout le moraliste politique. Celui qui, après les européennes, vient nous dire à la télévision qu’il a « honte » de la France, et qu’il se sent « insulté ». Ces mots, j’aurais peut-être pu les prononcer il y a quinze ou vingt ans. Nous étions nombreux alors à croire que le Front national devait être combattu par des leçons de morale, qu’il fallait jeter l’opprobre sur ses adhérents, et placer en quarantaine ses électeurs pour éviter que notre société ne soit contaminée.

C’était encore le temps de SOS-Racisme. Depuis, nous sommes un peu redevenus matérialistes, au sens philosophique du terme. La situation, il est vrai, nous y a aidés. C’est une évidence aujourd’hui que ce sont aussi des ouvriers qui votent pour le Front national. Et qu’ils ne le font pas par adhésion à une idéologie d’extrême droite, et moins encore fascisante, mais en raison de leur situation sociale et d’un profond désespoir politique. On connaît la fameuse phrase de Marx : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » Ce qui ne veut pas dire qu’on est mû par sa seule fiche de paie ou par sa feuille d’impôts, mais que notre condition d’être social est un facteur essentiel dans la formation de notre opinion. Mais il y faut ajouter l’espoir ou le désespoir, qui font partie de l’existence sociale telle qu’on la projette. On me pardonnera ce petit détour par une citation surannée. C’est une façon de rappeler à ceux dont la vie est confortable que leurs leçons de morale n’ont aucune prise sur des gens qui sont dans des situations de précarité parfois extrêmes. Non seulement ce « politiquement correct » est inefficace, mais il est contre-productif. Ces deux positionnements – le « moralisateur » et le « un peu matérialiste » – face à la montée du parti de Marine Le Pen et à la droitisation de notre société, c’est ce qui distingue en principe les dirigeants du PS d’une gauche sociale (dans laquelle j’inclus la gauche du Parti socialiste). Les premiers font d’autant plus de morale qu’ils ont oublié de faire du social. Les seconds ont compris – ils y ont parfois mis le temps ! – qu’il ne peut y avoir de raccourci. Et que la seule solution, c’est une politique qui ferait sortir les catégories les plus défavorisées du chômage ou de la peur du chômage.

C’est donc de ce côté qu’il faut chercher l’espoir. À condition, que cette gauche de la gauche sache se rassembler. Est-elle capable de faire taire les éternels sceptiques qui vont nous répétant que les querelles de chapelles sont aussi immuables que le Massif central ou les Vosges ? Nous voulons faire le pari que oui. En vingt ans, et malgré les effets d’optique dus à notre impatience, le paysage a finalement été sérieusement transformé. Les Verts se sont installés, puis le Parti de gauche est apparu, formant avec le Parti communiste une articulation originale, mais tellement perfectible. Politis a accompagné ces évolutions. Et mieux que cela : il y a contribué. Mais voilà qu’aujourd’hui de nouvelles transformations sont indispensables et urgentes. Cela ne se passe jamais dans la sérénité, et presque toujours dans la crise. Signe encourageant : depuis une semaine, les appels fleurissent, et plusieurs personnalités du Front de gauche ont pris la parole pour pointer les erreurs de stratégie et remettre en cause l’architecture actuelle de la coalition. Clémentine Autain, notamment, dans Politis, puis Pierre Khalfa, lundi dans le Monde, ont plaidé pour un rassemblement plus large que le Front de gauche. Même Jean-Luc Mélenchon n’est pas épargné.

L’enjeu d’un assouplissement des structures et d’une plus grande ouverture, c’est évidemment de permettre un rassemblement large de toutes les composantes de la gauche écologiste et sociale : de la gauche du PS au NPA, s’il le souhaite, en passant par la gauche des Verts, Nouvelle Donne, mais aussi le mouvement social et associatif. Le paradoxe, c’est que le Front de gauche, souvent critiqué, et si fragile, apparaît comme le pivot de ce rassemblement. Que les choses se passent autour de lui ou en son sein. Quoi qu’il en soit, la tâche est immense. Car il ne peut s’agir seulement d’un assemblage. Un corps de doctrine commun est à inventer. Il faut passer de nouveau à l’offensive sur les institutions, le temps de travail, la réforme fiscale, oser rompre clairement avec la religion de la croissance… et tant d’autres choses. C’est la raison d’être de Politis que d’œuvrer à cette tâche. C’est-à-dire rendre l’espoir.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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