Tontons flingueurs contre frondeurs

Nous paierons par une aggravation du chômage notre certificat de bonne conduite financière décerné par les marchés et par la Commission européenne.

Denis Sieffert  • 26 juin 2014 abonné·es

Le pacte de responsabilité, nous y voilà ! Depuis lundi, et jusqu’à la mi-juillet, les parlementaires vont examiner le projet de loi de finances rectificatif et le budget de la Sécu. C’est au détour de ces deux débats qu’ils vont devoir se prononcer sur la pierre angulaire de la politique économique et sociale de François Hollande. Lequel président de la République est dans ses petits souliers. Car l’opposition la plus gênante pour lui vient de l’intérieur. Ce sont les fameux députés socialistes « frondeurs », qui ont ici l’occasion de montrer leur détermination. S’ils mènent la bataille d’amendements qu’ils ont annoncée, ce sera « socialisme de l’offre » contre « socialisme de la demande ». Pour le dire autrement, aide aux entreprises ou soutien direct aux salariés et aux classes moyennes.

L’étonnant, pour un débat de cette importance, c’est le ton choisi par l’exécutif pour faire rentrer les francs-tireurs dans le rang. MM. Hollande et Valls ont commencé par faire donner deux cerbères qui n’ont pas l’habitude d’avoir le verbe léger. En nommant Jean-Marie Le Guen aux Relations avec le Parlement, et en maintenant Bruno Le Roux à la tête du groupe socialiste à l’Assemblée, le Président et le Premier ministre avaient sans doute eu un pressentiment. Ils ont en tout cas sérieusement dérogé à la tradition qui veut que ces fonctions soient dévolues à des personnalités ouvertes au compromis. Des diplomates et des négociateurs plutôt que des tontons flingueurs. Ils ont opté pour le profil « garde-chiourme ». Le Guen, notamment, ne fait pas dans la dentelle. Récemment, il n’a pas craint de qualifier les députés frondeurs de « soi-disant socialistes ». Et comme ceux-ci réagissaient, il en a déduit qu’il avait appuyé « là où ça fait mal ». On admire la dialectique. Affublez un bon ami de quelque qualificatif particulièrement infamant – je ne sais pas moi, « nazi » ou quelque chose comme ça – et s’il proteste, c’est que vous avez touché juste…

Dans le même genre, son collègue Bruno Le Roux n’est pas mal non plus. Pour lui, les « frondeurs » sont de purs cyniques. Ils sont dans une « posture ». « Si on leur proposait une responsabilité, dit-il, beaucoup deviendraient en quelques minutes les champions de l’orthodoxie. » Nul ne peut contester à Bruno Le Roux une parfaite connaissance de son propre parti… Mais, en l’occurrence, ce chapelet d’amabilités a pour principal effet, et sans doute pour seul objet, d’évacuer les débats de fond que les 41 députés frondeurs ont au moins l’avantage d’ouvrir. Car, s’il existe encore quelques socialistes au sein du groupe PS, c’est sans aucun doute parmi eux qu’il faut les chercher. Sur le même sujet, Manuel Valls n’a pas été beaucoup plus tendre. Dans un discours prononcé samedi, près de Narbonne, il a appelé les députés socialistes à faire preuve de « loyauté ». Mais s’agit-il d’être loyal envers un président de la République qui n’a guère honoré ses engagements de campagne, ou d’être fidèle à un électorat qui attendait tout autre chose ? Ce qui est frappant dans cette rhétorique, c’est que les valeurs morales sont retournées contre ceux qui les défendent. Or, ce renversement n’est possible que parce que le propos manque totalement d’enracinement social. Il faut « tenir », n’a cessé de répéter Manuel Valls, « il faut agir, changer, réformer, se mettre en mouvement » pour « combattre la peur lancinante du déclin ». Qui doit « tenir » et pour quoi faire ? C’est sans doute un signe des temps : la politique n’ose plus dire son nom. Sous le patronage de cette gauche, le libéralisme avance masqué.

Si la vérité n’est plus dans les discours, elle est évidemment dans les conflits sociaux : SNCF, intermittents, SNCM, recherche… Elle est aussi dans certaines notes d’experts qui sont généralement destinées à rester secrètes. Lundi, le quotidien les Échos rendait public un de ces documents, dont l’auteure est Valérie Rabault, rapporteure générale du Budget. Selon cette députée, qui n’est pas une « frondeuse », le plan d’économie de 50 milliards proposé par le gouvernement devrait entraîner, par son effet récessif, la suppression de 60 000 emplois. Des chiffres qui donnent raison aux opposants au sein du groupe PS. Bien entendu, Mme Rabault nuance ses conclusions. Ces chiffres, précise-t-elle, doivent être appréciés « en regard de l’importance des risques financiers auxquels s’exposerait notre pays en l’absence de rétablissement des comptes publics ». L’orthodoxie est sauve ! Nous allons payer par une aggravation du chômage notre certificat de bonne conduite financière décerné par les marchés et par la Commission européenne. Mais est-ce obligatoire ? Cette conduite d’échec est-elle une fatalité ? Voilà qui mériterait autre chose que les invectives et des leçons de morale aussi creuses qu’hypocrites.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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