Fini, la croissance ?

En fait, c’est en Europe que la croissance ne revient pas.

Christophe Ramaux  • 17 juillet 2014 abonné·es

« La croissance ne reviendra pas », ce couplet est fréquemment repris dans les rangs de la gauche non libérale. Attendre la croissance, ce serait comme pour Godot. Et si ce propos, en dépit de sa part de vérité, était porteur de lourdes régressions ? La part de vérité : la croissance aveugle et le productivisme sont à bannir. Le capital repose sur une logique d’accumulation infinie et se soucie comme d’une guigne que ce soit utile ou non à la société prise dans son ensemble. C’est bien pourquoi la loi, l’intervention publique, est nécessaire afin de prohiber certaines activités, imposer le respect de normes sociales et environnementales. La nouvelle frontière écologique exige que la primauté soit accordée à la qualité de vie et non plus à l’accumulation aveugle de richesses. Cela passe par une bifurcation. Certaines productions, certaines consommations, doivent décroître pour faire chuter les émissions de gaz à effet de serre, découpler le PIB de ces émissions.

Faut-il pour autant bannir la croissance en elle-même ? C’est oublier, première régression, qu’elle peut prendre différentes formes : plus d’éducation, de logements, de soins, de culture, c’est aussi plus de PIB. La transition énergétique suppose elle-même un choc de « croissance verte » : rénovation thermique du bâti ancien, développement des énergies renouvelables, des transports collectifs, etc. Le passage d’une agriculture intensive en engrais et en pesticides à une agriculture plus raisonnée, c’est encore plus de PIB. S’il faut deux fois plus de temps pour produire un kilo de tomates de qualité, la valeur ajoutée correspondante est double.

Deuxième régression : celle du nombrilisme. Nombrilisme de classe ignorant l’ampleur des besoins élémentaires insatisfaits en France : logement, alimentation, santé, loisirs pour les enfants… Nombrilisme de classe encore, oubliant que redonner du travail à 5 millions de chômeurs signifiera qu’ils contribueront au PIB. À moins d’entonner cet autre couplet selon lequel « le plein-emploi, c’est aussi terminé », et on ajoute alors un mépris complet pour ce qu’est le chômage. Nombrilisme national aussi – assez paradoxal pour ceux qui généralement honnissent la nation (même s’ils s’enflamment à l’occasion pour les « Bleus ») –, oubliant qu’à l’échelle mondiale une partie de l’humanité manque de tout. Même si des progrès colossaux ont été réalisés ces vingt dernières années dans les pays émergents grâce… à la croissance.

Troisième régression : passer par-dessus bord les débats de politique économique. En fait, c’est uniquement en Europe que la croissance ne revient pas. Explication keynésienne : l’austérité salariale et budgétaire y plombe l’activité et l’emploi. Les pays (Grèce, Portugal, Espagne…) qui ont été le plus loin en ce sens connaissent d’ailleurs la dépression (la chute de leur PIB), avec les conséquences sociales que l’on sait. Explication des néolibéraux : la croissance « potentielle » est sans cesse plus faible en raison des « rigidités structurelles » (droit du travail, « charges sociales », etc.). Tiens, eux aussi indiquent que la « croissance ne reviendra pas ».

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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