Le blocus, qu’est-ce que c’est ?

Christophe Oberlin, qui se rend fréquemment à Gaza, décrit ici le sort des habitants asphyxiés depuis sept ans par Israël. C’était avant les bombes.

Christophe Oberlin  • 17 juillet 2014 abonné·es
Le blocus, qu’est-ce que c’est ?
© Chirurgien, professeur à l’université Paris-VII, **Christophe Oberlin** a accompli de très nombreuses missions médicales à Gaza, où il était encore du 14 au 23 juin dernier. Photo : Mohammed Asad - Anadolu Agency /AFP

«Le problème de fond, celui qu’il faut résoudre, c’est celui du blocus. Il faut lever le siège. Tout accord sur l’arrêt des violences qui ne comporterait pas l’ouverture des frontières est voué à l’échec. » C’est l’un des messages que m’adresse mon ami Bassem Naïm [^2], le samedi 12 juillet, alors que les bombardements font rage. Le blocus que connaît Gaza depuis les élections remportées par le Hamas en 2006 exerce ses effets délétères sur trois plans, mais avec une perception occidentale qui n’est pas toujours exacte.

Sur le plan sanitaire, la médecine à Gaza est de haut niveau, en moyenne bien meilleure qu’en Égypte ou même en Algérie. Les qualifications des hommes et des femmes sont là. Mais, faute de pièces détachées, les IRM, appareils de radiothérapie, appareils anesthésiques, reins artificiels ne fonctionnent pas ou plus. Le cathétérisme cardiaque est limité, faute de sondes jetables. Les chimiothérapies sont interrompues faute de traitements. Autant de morts que nous ne voyons pas. Même mon ami le Dr Mofeed Mukhallalati, qui a pourtant fondé la faculté de médecine de Gaza pendant le siège et qui fut le dernier ministre de la Santé, n’a pu être sauvé : il est mort d’un infarctus le 22 juin dernier.

Sur le plan économique, la catastrophe est plus facile à comprendre. L’essence et le fuel qui alimente les générateurs électriques des hôpitaux étaient trois fois moins chers lorsqu’ils provenaient d’Égypte. Alors que le taux de croissance annuel de la bande de Gaza était de 11,5 % par an depuis deux ans, la fermeture des tunnels de Rafah à la suite du coup d’État en Égypte, ajoutée à l’embargo total sur le ciment du côté israélien, a eu un effet immédiat sur le principal moteur économique : la construction. Les tunnels n’étaient pas « de contrebande » : l’intégralité des matériaux qui ont servi à édifier le tout nouveau CHU à Netzarim, don de la Turquie, est passée par ce canal. Et les taxes prélevées sur les importations constituaient la principale source de revenu du gouvernement. Si l’on ajoute les restrictions bancaires et maintenant le manque d’argent liquide, malgré la solidarité, nombre de familles sont entrées dans la misère. Mais c’est probablement sur le plan humain que les conséquences du siège sont les plus mal perçues. Bien sûr, la fermeture de Rafah est une catastrophe ! Pour les expatriés venus rendre visite à leur famille de Gaza et qui ne peuvent entrer, ou au compte-gouttes ; ou qui entrent et ne peuvent plus sortir. Pour les étudiants qui, bloqués à Gaza, manquent une rentrée universitaire à l’étranger, etc. Toutes conséquences qu’il ne faut pas minimiser. Mais il y a aussi un effet que le grand psychologue israélien n’a toujours pas mesuré : le siège renforce la cohésion, et par là même la détermination, de la population de Gaza. Les éradicateurs ont tout faux.

[^2]: Ancien ministre de la Santé à Gaza et ancien conseiller diplomatique d’Ismaël Haniyé.

Monde
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