Lipietz ou le pragmatisme

Exclu d’EELV pour s’être allié à un candidat de l’UMP à Villejuif aux dernières municipales, le Vert historique explique son geste par les réalités de la politique locale.

Pauline Graulle  • 3 juillet 2014 abonné·es
Lipietz ou le pragmatisme
© Photo : AFP PHOTO / PASCAL PAVANI

U n ténor d’EELV qui pactise avec l’UMP en pleine campagne municipale ? Trois mois plus tard, le choix d’Alain Lipietz garde encore une part de mystère. L’histoire commence mi-mars par une fuite dans la presse : la tête de liste EELV à Villejuif (Val-de-Marne), Natalie Gandais, et son compagnon et colistier, Alain Lipietz, auraient décidé de se ranger derrière la droite locale (UMP et UDI) pour battre la maire PCF sortante. Stupeur parmi les amis de Cécile Duflot. D’autant que Lipietz est réputé pour son engagement à la gauche des Verts. « Honte », « déchéance », « naufrage »  : Jean-Vincent Placé et Emmanuelle Cosse dénoncent cette « alliance contre-nature ». Illico, Lipietz et Gandais sont suspendus du parti, qui leur retire le logo entre les deux tours. L’état-major d’EELV prend fait et cause pour la communiste Claudine Cordillot. Laquelle est largement battue, le 30 mars, par le candidat UMP – mais élu sous l’étiquette « Liste citoyenne » – Franck Le Bohellec, qui devient maire… et nomme Natalie Gandais première adjointe.

Dans le petit jardin de son pavillon recouvert de panneaux solaires, Alain Lipietz tire une longue bouffée sur sa pipe : « Pour comprendre notre démarche, il faut revenir à ce que c’est de vivre dans cette ville qui a été un fief communiste pendant quatre-vingts ans. » Et d’énumérer ses griefs : le « clientélisme » de l’ancienne municipalité, « l’assèchement » de la vie associative locale, la fuite en avant dans la construction de logements sociaux par la Sadev, la société d’aménagement départementale, que Lipietz accuse d’être devenue « la machine à cash du PCF » … Il y a aussi cette « islamophobie » rampante, exaltée selon lui par des responsables politiques intraitables sur la question du halal à la cantine ou qui rechignent à construire des mosquées. « Le rejet de la politique locale était très fort, poursuit l’ancien eurodéputé. Déjà, en 2008, les habitants nous avaient reproché, à nous les Verts, d’avoir refusé de faire alliance avec la droite pour sortir Cordillot ». « C’est vrai que les quartiers ont arrêté de faire confiance à cette mairie qui n’était pas de gauche dans les actes. On voulait changer de système, respirer », confirme un habitant des quartiers sud, qui a apporté son soutien à Natalie Gandais mais s’est abstenu au second tour.

Un an avant le lancement de la campagne municipale, les mécontentements se sont cristallisés autour d’un projet de ZAC dans le quartier Aragon. À travers une association créée en 2012, Natalie Gandais et Alain Lipietz entendent rallier les Verts, le PS et le MoDem à la colère des habitants. « Des gens estampillés UMP nous ont rejoints. On s’est aperçus avec étonnement qu’on était souvent d’accord », sourit Lipietz. À l’époque, Gandais s’imagine ravir la mairie, Lipietz la présidence de la communauté d’agglo. Mais, à l’automne, le PS local décide de rejoindre le PCF, douchant ainsi définitivement leurs espoirs de conquête. « Ils auraient pu se maintenir au second tour, ils avaient d’autres choix que de s’allier à l’UMP !   », soutient aujourd’hui Marianne Boulc’h, cosecrétaire EELV dans le Val-de-Marne, qui reproche au couple d’avoir « déstabilisé les électeurs » par leurs « arrangements politiciens ». « Je comprends qu’il y ait eu de l’incompréhension. Mais le maire a été élu sur un programme de gauche », rétorque Lipietz, qui aime à rappeler que la gauche (PCF, PS, PS dissident, EELV) est majoritaire plus une voix au conseil municipal. Et qui précise que l’alliance entre les « tout sauf PCF » a été scellée dès le mois de décembre 2013 autour d’un « programme commun ».

Un programme plutôt iconoclaste pour qui se revendique de gauche. Qui vise à développer les caméras de surveillance autour des HLM, à développer la police municipale et, surtout, à ralentir le rythme de construction des logements sociaux, principal dénominateur commun entre une droite qui veut accueillir moins de pauvres… et des écolos qui veulent plus d’espaces verts. « On est pragmatiques, on essaie de répondre au mieux aux problèmes des gens », avance Natalie Gandais, qui ne récuse pas un certain lien de parenté avec l’autre maire Vert de banlieue « chaude », Stéphane Gatignon, à Sevran (93). « Ce qui lie la droite et les Verts, à Villejuif, grince Claudine Cordillot, c’est d’une part leur anticommunisme forcené, d’autre part leur vision d’une ville d’où doivent partir les plus modestes. » « On accueille déjà beaucoup plus de HLM que la moyenne, on veut que le logement social soit mieux réparti », répond Natalie Gandais, qui rappelle l’objectif de 25  % de logements sociaux de la loi Duflot. Les ambitions politiques de la première adjointe au logement et à l’urbanisme ont sans doute pesé lourd dans la balance. Comme pour protéger son compagnon, celle qui a connu jadis une expérience mitigée comme adjointe dans la municipalité « gauche plurielle » de Rochefort (Charente-Maritime) confie d’ailleurs : « Tout ce qui est arrivé est de mon fait. Cette stratégie n’était pas l’idée d’Alain. C’est parce que j’avais un regard neuf sur la politique que je l’ai convaincu. »

Charge désormais à Lipietz de convaincre les siens. Il s’y emploie en tentant d’expliquer comment la perte des repères politiques ouvre de nouvelles perspectives : «   Aujourd’hui, la ligne de rupture n’est plus entre gauche et droite, mais entre les productivistes et les autres, entre les tenants d’une laïcité fermée et les tenants d’une laïcité ouverte », plaide-t-il, prenant en exemple la liste des « petits Blancs » de Cordillot et celle, plus bigarrée, de Le Bohellec : « Il ne suffit pas d’avoir l’étiquette PCF pour être de gauche, et avoir l’étiquette UMP ne signifie pas qu’on ne l’est pas ! » Et de dénoncer l’hypocrisie des élus EELV, « qui siègent à Paris, une ville truffée de caméras de surveillance, et qui s’offusquent quand on veut en mettre de l’autre côté du périph ». Ou les agissements de Placé et de Duflot, ces « arrivistes » qui ont beau jeu de dénoncer ce qui se passe à Villejuif…

Ce discours sur l’imposture d’une politique faisant primer « l’étiquette sur le contenu » trouve un certain écho chez EELV, où quelque 200 personnalités de toute obédience ont signé une motion de soutien aux exclus de Villejuif au dernier conseil fédéral. « L’affaire Lipietz pose un débat de fond : faut-il systématiquement faire alliance avec la gauche quand on voit ce que cela a donné au gouvernement ? », interroge l’ex-secrétaire national du parti, Gilles Lemaire. « Quand vous avez, au niveau local, un PCF qui ne fait pas une politique de gauche et une UMP qui n’est pas vraiment de droite, il n’y a pas de mal à franchir le pas », résume Lipietz. Précisément, qui est ce maire « pas vraiment de droite »  ? Un outsider, plus gaulliste que sarkozyste, impliqué dans les associations sportives locales et le conseil syndical de copropriété. « Un démocrate, qui a du bon sens et n’est pas dogmatique », estime Natalie Gandais, et que même Claudine Cordillot tient en sympathie. Surtout, un maire sans expérience –  « c’est peut-être là notre chance », sourit Lipietz. Reste qu’il a gardé sa carte d’adhérent au parti de Jean-François Copé. Et qu’il a débarqué à l’hôtel de ville flanqué des hommes de Christian Cambon, le grand manitou de la droite départementale.

Le 30 avril, Franck Le Bohellec appelait la police pour déloger les communistes traditionnellement postés devant la mairie pour distribuer le muguet. « Une gaffe », évacue Alain Lipietz d’un revers de main. De même, juge-t-il, lorsque l’édile rejetait la présence d’une association pourtant apolitique à un vide-greniers… Fin avril, le maire se targuait sur Twitter d’avoir refusé « l’arrivée de 60 véhicules et caravanes de gens du voyage à Villejuif ». À croire que, cette fois, l’étiquette colle bien au contenu.

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