Qui en veut à Lilian Thuram ?

Dans la profusion du off, un beau conte moderne, un huis clos politique et le rire irrésistible d’une pièce sans logique ni certitudes.

Gilles Costaz  • 17 juillet 2014 abonné·es

La Rose jaune, d’Isabelle Bournat

Voilà une auteure, Isabelle Bournat, qui croit au lyrisme et à la passion, les associe à la pensée politique et ne craint pas le romanesque poétique ! Dans un restaurant, un couple se défait. La femme s’en va avec un étrange personnage qui dort la nuit dans les théâtres, tandis qu’un rappeur quasi invisible fascine tous les personnages en présence. Ce sera la nuit de la réconciliation et d’une vie renouvelée de fond en comble. Le sujet pourrait faire penser à certains films de Carné-Prévert, mais l’écriture d’Isabelle Bournat est d’une autre tonalité ; elle griffe, elle chante, elle aime les couleurs franches comme le jaune – la teinte de la rose qui donne son titre à la pièce et symbolise aussi l’éclat d’un certain état d’âme. Cette belle œuvre a rencontré l’équipe qu’il lui fallait : mise en scène nerveuse et rêveuse de Jacques Connort ; présence d’un danseur, Michel Raji, qui modifie le climat et le rythme de chaque instant. Nathan Willcocks, dans le rôle de l’étrange noctambule, allie de manière étonnante la puissance et la sensibilité. Capucine Demnard gradue aisément la dureté et la douceur, l’absence et la présence. Kristof Lorion, Jessica Monceau et Raphaël France-Kullman sont également des acteurs avec un poids de chair et d’âme. Enfin, la vidéo telle qu’elle est utilisée est une sorte de chant visuel sur la pierre qui ferme la scène, ce qui n’est pas courant. Un fort beau conte moderne.

Condition des Soies, 12 h. Texte aux Éditions du Cygne.

Le Temps suspendu de Thuram, de Véronique Kanor

Le fait divers nous avait échappé ! Le fameux footballeur Lilian Thuram a été kidnappé un jour en Guadeloupe. Véronique Kanor a imaginé les quelques jours de captivité de la star du foot. Le prisonnier a les mains attachées, son ravisseur tourne autour de lui une bouteille ou un couteau à la main, pour boire avec lui ou le menacer. Mais les raisons du rapt ne sont pas crapuleuses. Thuram est devenu un Français intégré, qui, lors de l’inauguration d’un lycée Lilian-Thuram, a vanté le système d’éducation de son pays. Pour celui qui s’est emparé de Lilian, c’est une approbation à un État qui n’a pas fait des Antillais des égaux des Français de couleur blanche… La pièce de Véronique Kanor tarde à évoquer les arrière-plans idéologiques mais crée judicieusement un jeu non conventionnel, lourd, nourri de tout un passé, entre le bourreau et sa victime. Ricky Tribord incarne Thuram dans une belle sobriété. Dominik Bernard est un ravisseur sans doute trop agité mais d’une présence troublante. On est étonné qu’Alain Timár, homme des grandes esthétiques contemporaines, se soit chargé de cette pièce écrite autour d’un événement lié au sport, mais, grâce à une commande de la Scène nationale de Guadeloupe, il a su en tendre le ressort et lui donner sa force de huis clos politique.

Théâtre des Halles, 11 h.

Livingstone, de Sergi López et Jorge Picó

Les motivations des acteurs connus de passage à Avignon ne sont pas toujours les plus artistiques. Mais la venue de Sergi López, c’est quelque chose ! Pas de tralala ni de décor fastueux. Juste lui-même et son partenaire et coauteur Jorge Picó sur un parterre herbu, et c’est parti pour une rencontre qui met en cause les certitudes du théâtre et de la logique. Vous qui entrez perdez toute espérance ! On ne comprend pas grand-chose à ce duo qui s’appelle Livingstone parce que le personnage principal part à la rencontre de quelqu’un d’introuvable, comme l’explorateur Stanley cherchant son collègue. Sauf que l’individu recherché pourrait être le joueur de tennis McEnroe et qu’il apparaît sous la forme d’un homme à tête de cerf ! On y perd son latin et son catalan, mais López et Picó, au jeu très physique, libèrent un irrésistible rire ravageur.

La Luna, 19 h 25.

Théâtre
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