« Tisa », nous voilà : adieu Sécu, santé, école…

La juriste Danièle Favari détaille les dangers de l’Accord sur le commerce des services, négocié secrètement par l’Union européenne.

Danièle Favari  • 17 juillet 2014 abonné·es

Depuis que le traité de Maastricht a interdit à la Banque centrale européenne d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions centrales et aux autorités régionales ou locales, les États sont obligés de se financer sur les marchés. Augmentant perpétuellement leurs déficits budgétaires et le poids de leur dette. « Notre » dette publique dépassera les 2 000 milliards d’euros à la fin 2014 et, alors même que ce traité a défini comme l’un des cinq critères de convergence une limite d’endettement du déficit public à 3 % du PIB, celui de la France atteindra 4 % en 2014, selon la Cour des comptes. Dès lors que la croissance stagne, les politiques n’ont d’autre choix que de recourir à l’emprunt, d’augmenter l’impôt et de réduire les dépenses publiques par des politiques d’austérité, ou de transférer au secteur privé des pans entiers du service public qu’ils ne peuvent plus assumer ou assurer.

Plutôt que de revenir sur l’article 104 du traité de Maastricht [^2] par une procédure de révision simplifiée touchant au domaine monétaire, l’Union européenne est actuellement au nombre des pays qui négocient l’Accord sur le commerce des services (Tisa ou Trade In Services Agreement), corollaire de l’accord commercial en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis [^3]. Le Tisa vise à ouvrir à la concurrence internationale et à légaliser, de façon irréversible, la mainmise sur les procédures d’autorisation et d’octroi de licences, les services internationaux de transport, les technologies de l’information et de la communication, l’e-commerce, les services informatiques et le transfert des données, les services postaux, de messagerie et de télécommunications, la santé et l’éducation, l’assurance et les marchés publics de services (secteurs régaliens exclus). L’une des principales menaces pesant sur les services publics provient de la « clause du traitement national » (article I-4 de l’ACS). Elle stipule que tout soutien financier apporté aux services publics devrait être soit explicitement exclu, soit ouvert aux prestataires de services privés poursuivant un but lucratif. En outre, chaque partie est conviée à lister les droits monopolistiques existants afin de s’efforcer de les éliminer (démantèlement de la Sécurité sociale, par exemple) ou d’en réduire la portée. Une clause de «  statu quo  » (article X-4) a été introduite. Il s’agit d’un principe de droit international, en vertu duquel aucune mesure nouvelle jugée non conforme ne doit être adoptée par un organisme membre d’une organisation internationale. Cette clause viendrait figer les niveaux actuels de libéralisation des services dans chaque pays. Elle rendrait donc impossible tout ajustement structurel susceptible d’améliorer durablement le fonctionnement d’un secteur de l’économie et « empêcherait, par exemple, de mettre en place de nouvelles réglementations financières », selon Lori Wallach, juriste et dirigeante de l’ONG américaine Public Citizen.

« Véritable dépeçage des services publics », le Tisa sanctuarisera la fin, déjà engagée avec l’accord commercial entre l’UE et les États-Unis, de toute notion de protectionnisme. Il institutionnalisera les droits des investisseurs et la marchandisation des services publics, en parachevant l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce, dont le processus est enlisé. Le Tisa avance caché : rien ne doit transpirer des documents classés « top secret ». Le septième round des négociations [^4], qui devraient se terminer fin 2015, s’est tenu à Genève du 23 au 27 juin dans la plus parfaite confidentialité. La Commission devra(it) pourtant lever le voile sur leur contenu, la Cour de justice européenne ayant réaffirmé, le 3 juillet, le principe de transparence, fermement ancré dans le droit de l’Union, et le droit d’accès aux documents des institutions par tout citoyen de l’Union.

[^2]: Consolidé par l’article 123 du traité de Lisbonne.

[^3]: Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement : PTCI (TTIP en anglais).

[^4]: Avec l’Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, la Corée du Sud, le Costa Rica, les États-Unis, Hong-Kong, l’Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la Suisse, le Taipei chinois (Taiwan) et la Turquie.

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