Bureau du jazz de Radio France : « La victoire du divertissement »

Le Bureau du jazz de Radio France est menacé. Le violoniste Dominique Pifarély rappelle son importance pour contrer l’emprise industrielle.

Ingrid Merckx  • 28 août 2014 abonné·es
Bureau du jazz de Radio France : « La victoire du divertissement »
© Photo : Eric Legret

Prise de conscience tardive ou succès d’une mobilisation ? Après avoir annoncé, début juillet, la suppression du Bureau du jazz, le directeur de la musique à Radio France, Jean-Pierre Rousseau, pourrait finalement décider de le maintenir. Sous quelle forme ? Avec quel budget ? Dans un entretien réalisé fin juillet, Dominique Pifarély explique ce que représente le Bureau du jazz et dénonce un affaissement des missions des radios publiques.

La pétition lancée début juillet contre la fermeture du Bureau du jazz comptait, fin juillet, 6 000 signatures. Comment expliquer l’ampleur de cette mobilisation ?

Dominique Pifarély : Les musiciens ont été les premiers à réagir parce qu’ils étaient les premiers au courant et qu’il y avait peu de presse, alors, sur le sujet. Le mouvement s’est rapidement élargi au milieu spécialisé, en France mais aussi dans toute l’Europe, notamment du côté des radios publiques allemandes. Puis les auditeurs ont commencé à signer la pétition en témoignant de leur attachement au Bureau du jazz. Cet élan militant tient à la nature de cette structure, qui existe depuis 1961 et demeure très importante pour la musique dans notre pays, mais aussi à l’export. Le Bureau du jazz a donné lieu à des concerts publics dont certains sont devenus des disques de légende (Ella Fitzgerald ou Coltrane à Juan-les-Pins, Miles Davis à Pleyel, Bill Evans ou Monk au studio 104 ). Il a laissé des traces sur plus d’un demi-siècle. Radio France a réduit de 2,5 heures en juillet les émissions de jazz, soit un quart du temps consacré à ces musiques. Le Bureau du jazz programmait jusqu’à présent 30 à 40 concerts radiophoniques par an, pour la plupart gratuits, soit à Radio France, soit dans des endroits comme le Festival de Radio France de Montpellier. Ces concerts sont très importants parce qu’ils bénéficient d’un public constant et parce qu’ils représentent un des rares endroits œcuméniques de diffusion de ces musiques en France. La saison programmée par Radio France se voulait, à l’image de sa mission de service public, la plus large possible. En outre, ces concerts sont rediffusés, en particulier à l’étranger, dans le cadre des échanges de l’Union européenne des radios, mais aussi au Japon et aux États-Unis. Le Bureau du jazz est donc essentiel pour le rayonnement de la musique de création française.

Comment comprendre cette décision de Radio France ?

Elle résulte de beaucoup d’impréparation. Si les décideurs de Radio France avaient pris le temps de mesurer l’importance du Bureau du jazz, ils auraient peut-être trouvé d’autres solutions. Cela témoigne surtout d’une méconnaissance de ce que ces musiques représentent. Ce mot de « jazz » (qui n’est d’ailleurs pas forcément revendiqué comme style par tous les musiciens, dont moi-même, mais c’est le cas depuis toujours) recouvre un ensemble de pratiques créatives qui risquent de disparaître si on les assimile à un style présenté comme « dépassé » ou « vieillot ». Il y a quand même autour de 5 000 musiciens professionnels de ces musiques aujourd’hui… Les dirigeants de Radio France en ont-ils réellement mesuré l’audience ? Comme d’autres formes d’expression artistique, ces musiques sont de plus en plus soumises au marché et à la production industrielle. Le jazz s’enseigne, de plus en plus de jeunes musiciens de très grand talent ont envie de réinventer le genre. Les festivals de jazz sont très fréquentés avec des locomotives mondialement connues comme Marciac et Vienne, et quantité de petits festivals. Le jazz n’est pas un genre commercial mais un domaine en perpétuelle recréation.

La tendance est-elle à supprimer les espaces de réflexion sur la musique ?

On entend souvent dire : « Sur France Musique, on parle trop… » De tout temps, le jazz a fait rêver, bouger mais aussi penser. Si France Musique et France Culture se mettent à ressembler à un service de streaming, elles sortent de leur mission de service public. Mais ce débat dépasse le champ de la musique : faut-il continuer à faire penser ? Cette attaque contre le jazz fait partie d’un mouvement global et inquiétant qui met toutes les formes artistiques dans le panier du divertissement.

La fermeture des centres d’information du jazz, du rock et des musiques traditionnelles au sein de l’Irma (Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles) participe-t-elle de cette logique ?

Au moment de la fermeture du centre d’information du jazz, le directeur du service culturel de la Sacem aurait déclaré aux Allumés du jazz [^2] : « La fenêtre médiatique sur le jazz est en train de se refermer. » Cette phrase résume tout et révèle une méconnaissance de ce qu’est vraiment le travail de la musique. L’Irma concentrait plusieurs centres de ressources très complets sur les lieux, les labels, les agents, les circuits, les musiciens, les documents juridiques. Cela découle de coupes budgétaires décidées par l’État.

Quel est le pouvoir de l’État concernant le Bureau du jazz ?

La ministre a fait une déclaration qui se voulait rassurante à Aix-en-Provence, le 17 juillet, en renvoyant le débat au PDG de Radio France (voir ci-dessous). C’est aux dirigeants de Radio France de réagir maintenant afin de préserver une place pour les musiques créatives et la saison jazz de Radio France. Il doit y avoir un moyen de remettre sur pied un projet du même genre.

Vous avez joué le 25 juillet au Festival de Radio France avec votre dernier quartet. Votre musique passe-t-elle à la radio ?

Cette musique ne sera diffusée que parce qu’il y a des producteurs de talent comme Xavier Prévost, garantissant un service public de la création. Si leur travail disparaît, des musiques comme celles de mon quartet n’auront plus droit de cité sur les radios publiques.

Est-ce une autre manifestation de la réduction des espaces de diffusion pour le jazz ?

Sur les scènes nationales ou subventionnées, la place pour ces musiques se réduit depuis vingt ans. Elles ont déjà abandonné, pour nombre d’entre elles, leurs missions de service public.  Quelle autre scène publique que la saison jazz de Radio France programme encore 30 concerts de jazz par an ?

[^2]: Regroupement de labels français indépendants de disques de jazz.

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