« Il va falloir faire preuve d’imagination »

Pour les organismes d’éducation populaire, la réforme des temps scolaires est l’occasion d’une complémentarité des temps éducatifs. À condition de s’appuyer sur les territoires et d’impliquer toutes les ressources locales.

Ingrid Merckx  • 28 août 2014 abonné·es
« Il va falloir faire  preuve d’imagination »
© Photo : AFP PHOTO / FRANK PERRY

Coéducation. C’est le principe que défendent les organismes d’éducation populaire depuis… les années 1950. Le concept se justifie encore plus aujourd’hui alors qu’un enfant arrivant au collège a déjà passé, en heures cumulées, l’équivalent de deux ans devant des écrans pour un an à l’école et un an dans des loisirs organisés. « Sur les écrans, on a peu de prise, pointe Éric Favey, secrétaire national de la Ligue de l’enseignement. D’où l’intérêt de mieux penser le temps périscolaire. » Pour la Ligue, qui gère les activités périscolaires de 15 000 communes, les Francas, présentes dans 3 000 communes, la Fédération Léo-Lagrange, les foyers ruraux et d’autres organismes d’éducation populaire, la réforme des rythmes scolaires est une aubaine. D’une part, la réduction de la journée d’école était réclamée par tous les acteurs de l’éducation, avant qu’une partie ne s’arc-boute contre une réforme mal amenée. D’autre part, cette révision des temps consacrés à d’autres formes d’apprentissage que l’école ouvre des perspectives en termes de création d’emplois, de formation d’animateurs et de citoyens, de redynamisation du tissu associatif local et, surtout, de meilleure coordination avec l’éducation reçue en famille et à l’école. L’enjeu principal pour le périscolaire étant de compenser les inégalités sociales et scolaires par une ouverture culturelle et civique.

Le temps périscolaire existait déjà avant la réforme pour les enfants qui ne rentraient pas chez eux à la fin de la classe mais allaient au centre de loisirs le soir, le mercredi et parfois le matin avant l’école. L’école finissant désormais plus tôt, le périscolaire gagne du temps et des enfants : ceux-ci pourraient passer de 1 million à 3,5 millions environ en activités de loisir organisées. C’est donc un véritable défi que doivent relever les collectivités et les professionnels du secteur. Reste à savoir si la semaine de 4,5 jours permettra à des projets innovants de se déployer. La réforme des rythmes scolaires ne concerne que le temps scolaire. Les nouveaux emplois du temps, validés par le directeur académique de l’Éducation nationale (Dasen), sont un volet de la loi sur la refondation de l’école. Les maires ne peuvent y déroger. En revanche, l’organisation des nouveaux temps périscolaires dégagés par la réforme, trois heures hebdomadaires en moyenne, n’a rien d’obligatoire. En théorie, chaque maire fait ce qu’il veut. Il peut même décider de ne rien proposer aux élèves à leur sortie de l’école. En 2013, 20 % des communes ont appliqué la réforme. En 2014, 87,2 % des communes ayant une école publique vont passer à 4,5 jours d’école. « Dans combien de communes les maires vont-ils profiter du fait que les enfants sont disponibles plus tôt pour élaborer des projets éducatifs locaux ?, interroge Éric Favey. Nous parions que l’immense majorité amorcera un projet car elles devront répondre à une demande sociale. »

Il existe plusieurs cas de figure : les mairies qui ne veulent rien faire car elles estiment que l’éducation relève strictement de la famille et de l’école, celles qui voudraient faire mais disent qu’elles n’en ont pas les moyens, et celles qui ne savent pas comment faire. Pour Éric Favey, l’argument financier ne tient pas vraiment. Le coût moyen par enfant et par an tourne autour de 250 euros. « Cela ne représente pas une somme introuvable », commente-t-il. Le « fonds d’amorçage » prévu par l’État en 2013, et reconduit en 2014, représente une aide de 50 euros par enfant et par an, 90 euros dans les communes en difficulté. Ensuite, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), qui est partenaire, accorde 53 euros par enfant et consacre 163 millions d’euros par an à la réforme, 250 millions à partir de 2015, où elle prendra totalement le relais d el’État. « Pourquoi attribuer des aides à tout le monde et non sous conditions de ressources, comme à la CAF ? Les villes très riches ont-elles vraiment besoin de l’aide de l’État pour cette réforme ? », demande Éric Favey. En outre, il est possible « de faire du périscolaire de qualité avec peu de moyens », insiste-t-il. « Le risque principal, aujourd’hui, c’est de voir se développer de l’occupationnel, témoigne Raymond Millot, pionnier de l’école ouverte, programme de recherche-action qui consiste à ouvrir l’école sur la ville (1). Ce peut être de l’occupationnel intéressant : cela n’a jamais fait de mal à un enfant de jouer au foot, par exemple. Mais, pour résorber les inégalités sociales, il faut développer des activités culturelles, créatrices de lien social, qui peuvent déboucher sur une production écrite, par exemple, valorisant ce qui a été fait. » Membre fondateur d’Adelis, en charge du périscolaire à Saint-Siméon-de-Bressieux, dans l’Isère, il défend l’accompagnement à la scolarité comme activité phare de l’association. « Avec les nouveaux temps périscolaires, ce ne sont plus des élèves indiqués par l’école comme ayant besoin d’un soutien qui vont se présenter, mais tous. L’idéal serait de proposer un accompagnement à la scolarité tous les jours au lieu d’une fois par semaine. Or, nous fonctionnons avec des bénévoles, nous n’en aurons pas les moyens. »

Cette expérience met en évidence deux problèmes. La question des devoirs n’a pas été prise en compte dans la réflexion sur les nouveaux temps scolaires et périscolaires. « Alors que, théoriquement, les devoirs sont interdits, beaucoup d’enseignants en donnent, et c’est là l’un des premiers facteurs d’inégalités », glisse Raymond Millot. Deuxièmement, le recrutement est une des difficultés majeures engendrées par la réforme, notamment pour les petites communes rurales. Former un grand nombre d’animateurs supplémentaires prendra du temps. Les normes d’encadrement imposées par la Cnaf, qui valide les projets, seront-elles respectées ? « Il faut mobiliser toutes les bonnes volontés locales, insiste Raymond Millot. L’avantage de cette réforme, c’est d’impliquer dans l’éducation tous ceux qui en étaient exclus : pâtissiers, danseurs, petites troupes de théâtre, énormément de gens sont prêts à faire quelque chose. » « Il faut intégrer les musées, les bibliothèques, les conservatoires, les centres sportifs dans la réflexion… Et miser sur l’ouverture, ajoute Éric Favey. Un quartier populaire est tout autant menacé d’enfermement local qu’un village. D’où l’intérêt de prévoir des échanges avec d’autres structures pour que les enfants découvrent d’autres fonctionnements. »

Le socle de la réforme sur le volet périscolaire, c’est le projet éducatif territorial (PEDT), qui varie d’une commune à l’autre, quand elles en sont pourvues. Susciter de telles coordinations réunissant tous les acteurs – écoles, familles et ville – pour « organiser la complémentarité des temps éducatifs » était l’objectif du Réseau des villes éducatrices lancé en 2008 dans la foulée de l’Appel de Bobigny. Il fédère aujourd’hui une cinquantaine de communes. « On est loin des enjeux de l’Appel, regrette Raymond Millot, qui en est l’un des initiateurs. La question du temps a été mal appréhendée. Le temps manque à l’école, où il faut tout faire vite. Le périscolaire suppose de prendre du temps, y compris parfois en ayant l’impression d’en perdre. En outre, on ne peut pas se préoccuper des temps de l’enfant sans prendre en compte son âge : on ne reste pas assis à apprendre de la même manière à 6 ans et à 10 ans. » Autre donnée : certains maires, de villes communistes notamment, partent du principe que, pour garantir l’égalité, il faut que le périscolaire soit un service public, assuré donc par du personnel municipal. Or, « l’État n’a pas compétence en matière d’éducation, rappelle Éric Favey, c’est l’instruction qui est obligatoire. L’éducation relève de la ville et devrait même relever de l’agglomération. La Ligue était d’ailleurs favorable à ce que l’éducation passe aux compétences de l’agglomération dans le cadre de la réforme territoriale. » Certaines mairies de droite rechigneraient à travailler avec les organismes d’éducation populaire, perçus comme étant à gauche. « Nous portons une attention particulière aux mairies FN, ajoute Éric Favey. Faut-il refuser de travailler avec leurs équipes municipales dans le cadre d’un PEDT ou accepter en partant du principe que 75 % des habitants n’ont pas voté FN ? » « Les prochaines années seront un peu chaotiques, prévoit Raymond Millot. Certains enseignants se portent volontaires, mais on va manquer d’encadrants. Une grande partie de l’organisation reposera sur les habitants. Il va falloir faire preuve d’imagination. »

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