Sivens, la guerre de l’eau

Les travaux préparatoires à la construction du barrage tarnais ont débuté. Mais la mobilisation s’amplifie contre ce grand projet inutile.

Grégoire Souchay  • 11 septembre 2014 abonné·es
Sivens, la guerre de l’eau
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«Cette fois, on peut y arriver. » Elle ne cache pas sa joie, Julie, habitante de la commune de Lisle-sur-Tarn, en voyant la masse de citoyens présents en ce dimanche ensoleillé du 7 septembre. Près de mille personnes sont venues de loin pour s’opposer au projet de barrage de Sivens : une retenue d’eau d’1,5 million de mètres cubes, dans la vallée du Tescou, à une dizaine de kilomètres de Gaillac, dans le Tarn. Cependant, dès le lendemain, machines à déboiser et forces de police sont revenues pour continuer à couper la forêt, rencontrant une résistance pacifique mais déterminée, faite de barrages de voitures ou de militants qui se sont enterrés pour faire obstacle. Quel est l’enjeu de ce qui pourrait bien être pour Manuel Valls ce qu’a été Notre-Dame-des-Landes pour Jean-Marc Ayrault ? Un vieux projet des années 1970 qui, comme le projet nantais d’aéroport, relève d’une vision du monde dépassée. Si l’idée est ancienne, le projet n’a réellement démarré qu’après la mort ou la faillite des paysans de la vallée et la récupération des terres par le conseil général. En 2001, l’Agence de l’eau Adour-Garonne charge la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) d’une étude sur la ressource en eau dans le secteur. Publiée en 2003, l’étude préconise la construction d’un barrage sur le Tescou. Le conseil général du Tarn, maître d’ouvrage, confie sa réalisation à la CACG.

Objectif officiel : irriguer des cultures agricoles et maintenir le débit pour diluer les pollutions en aval. Des objectifs louables s’il n’y avait pas quelques détails gênants. En fait de cultures, il s’agit de celles de maïs en production intensive, nécessitant énormément d’eau, alors que le Sud-Ouest subit déjà le réchauffement climatique. Ensuite, les pollutions ont déjà été fortement réduites avec la mise aux normes, dès 2006, des équipements qui en étaient à l’origine. Surtout, ce barrage entraînerait la destruction de la zone humide du Testet, « dix-sept hectares de bois humides remarquables, abritant quatre-vingt-quatorze espèces protégées, un réservoir à biodiversité », indique Christian Conrad, naturaliste. Or, « les zones humides, rappelle Jacques Thomas, du bureau d’études Scop Sagne, sont un excellent régulateur : elles stockent l’eau en cas de sécheresse et la retiennent pour éviter les inondations ». Malgré des avis consultatifs défavorables du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), le projet se poursuit et il est présenté à la population en 2011. Le tout jeune Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet découvre alors combien l’utilité du barrage est contestable et lance des recours en justice. Ben Lefetey, son porte-parole, égrène les chiffres : « Le projet est évalué à 7,8 millions d’euros. Avec vingt-cinq irriguants intéressés, cela revient à 300 000 euros d’investissement par ferme ! »

Mais rien n’y fait. En octobre 2013, la préfecture du Tarn donne, sans se préoccuper des voix discordantes, une dérogation pour que démarrent les travaux, avec le soutien du conseil général, présidé par le député (PS) Thierry Carcenac. En réponse, des opposants locaux, qui se font appeler « les Bouilles », entament l’occupation d’une ferme abandonnée au milieu de la zone d’emprise du futur barrage. Au fil des mois, l’occupation devient, comme à Notre-Dame-des-Landes, une zone à défendre (ZAD). Au printemps 2014, les Bouilles parviennent à repousser les opérations de déboisement pendant cinq mois. Mais, à partir du 12 août, les forces de l’ordre commencent à intervenir violemment pour empêcher toute réoccupation. La tension est montée le 1er septembre, quand les machines, protégées par les gendarmes, ont entamé les travaux de déboisement. Depuis, cinq hectares ont déjà été broyés, et un quart de la zone humide rasée. Tandis qu’une partie des opposants a tenté d’abord de s’opposer par la force aux assauts policiers, beaucoup ont vite trouvé plus opportun de se percher dans les arbres pour empêcher les destructions. Quel que soit le mode d’action, l’unité prime pour sauver la forêt : « Ces jeunes sont courageux, remarque Christian Pince, du Collectif Testet, ils jouent leur peau pour empêcher les travaux. » Un courage qui les confronte aussi aux exactions policières et à certaines humiliations : campements saccagés, cabane incendiée, affaires volées. « C’est une guerre psychologique », raconte Hélène, sur place depuis une semaine. Une autre opposante, étudiante de 19 ans, a pour sa part reçu « des coups de rangers, la tête écrasée contre le bitume » pour avoir tenté d’arrêter les machines.

Cette répression n’empêche pas la mobilisation de prendre son essor. Depuis le 27 août, quatre membres du Collectif Testet sont en grève de la faim. Les soutiens d’associations se multiplient, d’Attac à France nature environnement (FNE), de Solidaires à la Confédération paysanne, laquelle n’hésite plus à prêter des tracteurs pour servir de barricades. Les riverains ne sont pas en reste, militants ou non. Beaucoup, comme Manu, demandent simplement « que les promoteurs ouvrent enfin le dialogue et qu’on arrête les violences policières ». Une pression montante qui a fini par faire réagir la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal. Elle a réclamé dimanche 7 septembre que soit vérifiée la cohérence entre le projet et les conditions fixées par le ministère, indiquant : «   L’eau est un bien précieux et rare qui doit faciliter l’agriculture, mais pas pour que certains pratiquent l’agriculture intensive dans des grandes exploitations en s’appropriant un investissement public. » Reste à convaincre Manuel Valls… Les élus régionaux d’EELV et les élus européens, comme José Bové, ont manifesté leur opposition au projet, tandis que l’opposition sur le terrain reste déterminée. Il serait sage d’interrompre les travaux et de réexaminer ce projet.

Écologie
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