L’emploi sans croissance

Il nous faut basculer de la compétition à la coopération.

Jérôme Gleizes  • 20 novembre 2014 abonné·es

La baisse structurelle de la croissance place économistes et politiques dans le désarroi. François Hollande espère l’inversion de la courbe du chômage avec le retour de la croissance. Dopé au keynésianisme, il croit que les Trente Glorieuses sont le temps normal du capitalisme, alors que Thomas Piketty a rappelé que c’est une période exceptionnelle. Il pense, comme nombre de socialistes, y compris parmi les frondeurs, que seule la croissance permet de réduire le chômage et les inégalités. Les économistes mesurent ce lien à travers la loi d’Okun. Pour la France, il faudrait une croissance de 1,9 % pour que le chômage diminue. Pourtant, le chômage n’est pas une fatalité modélisée à travers les équations d’un modèle économique, mais la conséquence de choix sociaux [^2]. Il est possible de réduire le temps de travail, comme lors des lois Aubry de 1998 et de 2000 sur les 35 heures. Si l’emploi se fait rare, il faut le partager, mais cela nécessite des compétences communes et que la productivité n’augmente pas par une hausse de l’intensité du travail, provoquant plus de souffrances, comme avec la loi Aubry 2. Par ailleurs, il est important de mieux partager les gains de productivité par une baisse séculière du temps de travail tout au long de la vie et une meilleure répartition des revenus. Mais une politique écologique de l’emploi ne peut se limiter à cela. Les modes de production actuels consomment trop de matières premières, et le keynésianisme de base se limite à des politiques de relance de la consommation [^3]. Ce mode de production insoutenable produit des crises écologiques, il nous faut donc changer de mode de consommation. Ce n’est plus la propriété des objets qui importe mais leur usage. Il faut passer rapidement à une économie de la fonctionnalité, pourvoyeuse d’emplois qualifiés, à la coordination des usages et à l’économie de la réparation. Le mode de production doit aussi être transformé en basculant d’une économie de la compétition à celle de la coopération, du partage, qui nécessite également de nombreux emplois qualifiés. Dans le secteur des logiciels, ce mode de production a montré son efficacité avec Firefox ou Linux. Il envahit aujourd’hui le domaine de la production avec les « fab labs », soit la mise à disposition d’outils performants au public. Mais ce système bute sur l’extension de la propriété intellectuelle, passée de la protection du petit inventeur au giron des multinationales. Toutes ces technologies résilientes réclament plus d’emplois. Ainsi, les énergies renouvelables en nécessitent quatre fois plus que le nucléaire.

Une économie écologique créerait de nombreux emplois, mais leur évaluation est difficile car elle repose sur une modélisation que les normes comptables dominantes négligent. L’emploi privé est toujours privilégié au détriment de l’économie sociale et solidaire. Et l’on parle plus de la fermeture de l’usine d’Aulnay de PSA que de la possible destruction de plus de 200 000 emplois dans le secteur associatif [^4], liée à la baisse de la dotation publique de l’État aux collectivités territoriales. Or, le PIB évalue aussi la production non marchande à son coût de production, c’est-à-dire en incluant les salaires. Une baisse de l’emploi non marchand a donc un impact direct sur le niveau du PIB, alors qu’une autre politique de l’emploi est possible.

[^2]: Pas de pitié pour les gueux. Sur les théories économiques du chômage, Laurent Cordonnier, Raisons d’agir.

[^3]: Un autre Keynes existe : « Perspectives économiques pour nos petits-enfants », in la Pauvreté dans l’abondance, John M. Keynes, Gallimard.

[^4]: Voir www.bastamag.net/265-000-emplois-associatifs.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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