Nucléaire : Une contamination masquée

Selon une enquête, les chiffres officiels de l’exposition des salariés d’EDF aux rayonnements ionisants sont inexacts.

Thierry Brun  • 20 novembre 2014 abonné·es
Nucléaire : Une contamination masquée
© Photo : CABANIS/AFP

Dans une série d’articles publiés le 12 novembre, le site d’information Hexagones ^2 met en cause EDF, qui « ne communique pas aux autorités publiques les doses reçues par les salariés du nucléaire en cas de contamination interne, par ingestion de particules radioactives ». EDF omet en effet de transmettre ces données à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), chargé de gérer la base nationale de données de dosimétrie (baptisée Siseri). Ces chiffres sont « sinon faux, tout du moins inexacts et opaques », assure le site. Il a interrogé l’IRSN et la médecin Michèle Gonin, déléguée d’état-major santé au travail d’EDF. « Un document émis par le service de Michèle Gonin et distribué aux salariés confirme que la dose calculée à l’occasion d’une contamination interne est intégrée dans leur dossier médical dès qu’elle dépasse » le seuil de 0,5 millisievert. Mais elle n’est pas pour autant communiquée à l’IRSN.

Hexagones relève que les chiffres d’EDF publiés dans son rapport annuel pour 2013 indiquent que le niveau d’exposition aux rayonnements ionisants des salariés du nucléaire concernerait « seulement 8 travailleurs » « sur les quelque 40 000 à 50 000 travailleurs ». Huit salariés qui ont reçu « une dose annuelle supérieure à 14 millisieverts, sans pour autant atteindre la barre des 16 millisieverts, le niveau limite que l’électricien s’est fixé, un niveau inférieur à la norme française de 20 millisievert par an ». Or, « EDF est confronté à une explosion du nombre des contaminations internes », souligne l’enquête d’Hexagones. Le site s’est procuré un rapport de 2013, rédigé par des techniciens du Laboratoire d’analyse médicale (LAM) d’EDF, et a consulté les données de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ce rapport comporte un passage édifiant : « Vu de la direction de la production nucléaire (DPN), le LAM pose un véritable problème de “sûreté”, la révélation de certaines données pourrait s’avérer compromettante et mettre en évidence des pratiques douteuses aux conséquences dramatiques si elles venaient aux oreilles de certaines institutions ou organisations, surtout dans le contexte actuel. »

Selon l’IRSN, « en quatre ans, le nombre de contaminations internes positives (c’est-à-dire qui ont généré une dose supérieure à 0,5 millisievert) par ingestion de poussières radioactives est passé de 0 à 1 111 dans les centrales nucléaires en activité d’EDF ». Interrogé par le site d’information, le professeur Michel Bourguignon, membre du collège de l’Autorité de sûreté nucléaire, explique que « l’exposition aux rayonnements ionisants peut altérer l’ADN et provoquer des cancers, quel que soit le niveau de dose reçu ». Et il ajoute que « toutes les lésions de l’ADN qui persistent font un pas vers la cancérisation ». En conclusion, Hexagones s’interroge : « Existerait-il des risques sanitaires que l’électricien souhaite ainsi ne pas voir apparaître ? » Une question préoccupante, car la santé de milliers de salariés de la sous-traitance, qui reçoivent déjà 80 % des doses déclarées et sont les plus exposés, est en jeu.

[^2]: www.hexagones.fr

Écologie
Temps de lecture : 3 minutes

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