Et maintenant, « la guerre au terrorisme »

À peine apaisée l’émotion nationale, le gouvernement annonce un durcissement répressif. À droite, certains réclament un Patriot Act.

Patrick Piro  • 15 janvier 2015 abonné·es
Et maintenant, « la guerre au terrorisme »
© Photo: AFP PHOTO / GUILLAUME SOUVANT

Les quelque quatre millions de personnes qui ont défilé dimanche en France pour la démocratie et la liberté d’expression revendiquaient-elles donc un sursaut sécuritaire ? C’est ce qu’interprète Claude Guéant (UMP), ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy : parmi les mesures à prendre, conséquence des attentats de la semaine dernière, il faudrait « une grande loi sur le renseignement » et la possibilité de prononcer la déchéance de la nationalité française. « Et des libertés peuvent être facilement abandonnées [^2] ». Le parti présidé par Nicolas Sarkozy est très rapidement monté au créneau pour réclamer un durcissement radical. Très actif, ce dernier estime notamment que les services de renseignement devraient pouvoir agir en dehors de toute procédure judiciaire [^3], car « la guerre a été déclarée à la France, à ses institutions, à la République, par des barbares ». Valérie Pécresse (UMP) lâche le terme qui résume le virage souhaité, réclamant via son compte twitter « un Patriot Act à la française ». La référence : l’arsenal répressif d’exception mis en place en 2001 aux États-Unis au lendemain des attentats du 11 Septembre, qui permet aux services de sécurité de déroger à certaines libertés publiques ainsi qu’au contrôle de la justice dès lors qu’il s’agit de lutter contre le « terrorisme ». Sans surprise, le Front national rappelle sa demande d’un référendum sur le rétablissement de la peine de mort. Alors que la quasi-totalité de la classe politique (y compris Nicolas Sarkozy) a salué la maîtrise du président de la République dans la gestion de la crise, il se dessinait dès le début de la semaine une forme de consensus entre la droite et le gouvernement sur une nécessité de renforcer le dispositif législatif et réglementaire en matière de sécurité. Si Manuel Valls semble écarter des procédures d’exception du style Patriot Act, il annonce en revanche une réponse « d’une très grande fermeté », approuvant l’idée d’un travail en commun entre la majorité et l’opposition sur le sujet.

Bien que le Parlement ait adopté en novembre dernier une loi antiterroriste ciblant les candidats au jihad, le Premier ministre a reconnu « des failles » dans le dispositif sécuritaire français et s’apprête à passer à la vitesse supérieure. Il annonce le maintien du plan Vigipirate à son plus haut niveau jusqu’à nouvel ordre, prépare un renforcement du système de surveillance des quelque 1 400 « islamistes radicaux » identifiés sur le territoire, la mise à l’isolement de ceux qui sont incarcérés ou encore un contrôle accru d’Internet. « C’est une guerre contre le terrorisme », justifie le Premier ministre, adoptant la métaphore militaire. « Contre l’intégrisme islamique », précise pour sa part le secrétaire national de l’UMP, Laurent Wauquiez, sur son compte twitter, dans une analyse proche de celle du Front national. Officiellement, l’ensemble de la classe politique déclare réfuter « l’amalgame » entre la folie meurtrière des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly et l’islam. Il n’empêche : il est perceptible dans de nombreux propos et actes. Sur fond de renforcement sécuritaire, la désignation à peine retenue d’une responsabilité de l’islam a redoublé d’intensité. Si la référence est rejetée par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, parce qu’induisant une « continuité » avec « le musulman qui pratique une religion de paix », le député PS Malek Boutih n’hésite pas à parler de l’émergence d’un « islamo-nazisme [^4] ». Ivan Rioufol, éditorialiste au Figaro, va jusqu’à agiter sur son blog la menace d’une guerre civile en France contre l’islam radical, et même « l’islam politique ». Il s’en est pris à l’écrivaine Rokhaya Diallo [^5], musulmane, qu’il a sommée de se désolidariser des tueurs de Charlie Hebdo, qui ont agi pour « venger le Prophète ». Court-circuitant les réflexions menées par la communauté musulmane sur la réforme de ses structures, Nicolas Sarkozy veut une procédure permettant de refuser l’habilitation à un imam, estimant qu’ « il faut expulser immédiatement » ceux qui tiendraient des propos « non conformes aux valeurs de la République », ajoutant sa conviction que la question de l’immigration est liée à ces problèmes [^3]. Cinq jours après l’attentat à Charlie Hebdo, le Conseil français du culte musulman (CFCM) avait recensé plus de cinquante actions contre des musulmans, de la lettre d’insultes aux grenades jetées contre des lieux de culte ou la tentative d’incendie d’une mosquée (contre 110 actes relevés pour toute l’année 2014 en France). Si près de 5 000 policiers ont été affectés à la protection des lieux de culte et des écoles de la communauté juive, endeuillée par les attentats, le CFCM relevait lundi qu’aucune mesure particulière n’avait été adoptée autour de la Grande Mosquée de Paris, premier lieu de culte de l’islam du pays.

Dernière stigmatisation en date : la jeunesse. La minute de silence à laquelle le gouvernement a appelé jeudi dernier a suscité quelques incidents dans les écoles, où des enseignants ont découvert avec étonnement des « perturbations ». Des élèves ont refusé d’obtempérer, d’autres ont manifesté leur satisfaction à la suite de l’attentat à Charlie Hebdo. Si l’Éducation nationale entend minimiser les quelque 70 cas recensés, des témoignages font état de l’incompréhension de la « charlie-mania » d’une partie des jeunes issus de familles de confession musulmane. Certains contestent le droit à caricaturer leurs convictions ou, pratiquants ou non, se voient insidieusement mis en accusation. « Madame, avec ce qui passe à la télé, comment voulez-vous que les non-musulmans ne nous prennent pas tous pour des terroristes ? », entend une professeur d’histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis ^7. « Je ne veux pas qu’il y ait des jeunes qui fassent le V de la victoire après ce qui s’est passé », s’est contenté de répliquer Manuel Valls, qui se dit choqué.

[^2]: France 2, 12 janvier.

[^3]: RTL, 12 janvier.

[^4]: iTélé, 9 janvier.

[^5]: RTL, 8 janvier. Voir « Attentat : Rioufol ouvre le bal » sur Politis.fr

[^6]: RTL, 12 janvier.

Société
Temps de lecture : 5 minutes