La fin de vie, un choix à respecter ?

Les « directives anticipées » permettent à toute personne majeure de formuler par écrit son refus de l’acharnement thérapeutique. D’optionnel, le dispositif pourrait devenir contraignant pour le corps médical.

Ingrid Merckx  • 8 janvier 2015 abonné·es

On dit « DA », pour « directives anticipées ». Soit des dispositions que chaque personne majeure peut prendre – par écrit – pour exprimer ses souhaits sur la possibilité de limiter ou d’arrêter des traitements si elle se trouve en fin de vie et dans l’incapacité de l’exprimer. L’enjeu est triple. D’abord, limiter le déchirement des proches en charge de décisions difficiles, ce qu’a révélé l’affaire Vincent Lambert. Ensuite, réduire la responsabilité du corps médical au profit de la volonté du patient. Enfin, inciter chacun à réfléchir à ce qu’il ne voudrait pas et à s’en ouvrir à ses proches ainsi qu’à son médecin traitant.

Les DA sont mentionnées à l’annonce d’une maladie incurable et avant une opération chirurgicale lourde, mais elles seraient utiles face à n’importe quel accident grave. Elles concernent donc potentiellement tout le monde et sont inscrites dans la loi depuis 2005. Mais, en 2009, seulement 2,5 % des patients décédés avaient formalisé des directives anticipées, selon les chiffres de l’Institut national d’études démographiques (Ined). Par comparaison, le taux de DA approcherait 14 % en Allemagne, 30 % aux États-Unis, et dépasserait 40 % au Canada. En France, ce faible taux tient au manque d’information sur l’intérêt du dispositif, mais aussi au manque de pertinence des formulaires existants. Un des plus complets serait celui disponible sur le site de l’assurance maladie, ameli.fr. Il est néanmoins jugé « glaçant » dans un rapport du Comité d’éthique, et « limité » par rapport aux modèles étrangers. Il révèle ainsi une réelle difficulté à simplifier des données médicales, de réanimation par exemple : « Traitement à entreprendre ou à poursuivre : oui, non, je ne sais pas… » Cependant, la situation pourrait évoluer : le rapport remis le 12 décembre à François Hollande par les députés Alain Claeys et Jean Leonetti consiste en une proposition de loi (PPL) qui devrait être discutée à l’Assemblée courant janvier. Les rapporteurs proposent notamment de rendre les directives anticipées contraignantes pour le corps médical : « L’une des principales mesures consistera à simplifier et à généraliser leur rédaction, indique la PPL. Ces directives ne seront plus simplement “consultées” par le médecin mais s’imposeront à lui afin que la décision du patient soit respectée. Elles seront inscrites sur la carte Vitale afin d’être immédiatement accessibles. Enfin, elles resteront révisables à tout moment et n’auront plus de délai de validité (trois ans actuellement), évitant au patient d’avoir à les réécrire à plusieurs reprises. » Dans son avis 121,« Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » (juin 2013), l’instauration d’un « droit du patient à être entendu » était réclamée par le Comité consultatif national d’éthique. Pour sa part, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) estime que cela « répond à une inquiétude des Français ». Ainsi explique-t-elle, dans un communiqué du 12 décembre, que «   le patient est totalement assuré que ses volontés seront respectées (et en particulier son souhait de refuser l’acharnement thérapeutique) et de ne pas souffrir ». Quant à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), elle ne peut que se réjouir du fait que le corps médical ne devra plus « consulter » les DA mais les « respecter ».

Environ 1 500 personnes en France se trouveraient dans un état végétatif chronique ou pauci-relationnel (état de conscience minimal). Par conséquent, concernées par une éventuelle « obstination déraisonnable », déjà illégale. En revanche, ce qui risque de diviser, c’est l’aspect « contraignant » des DA. La PPL prévoit que le médecin puisse refuser de les suivre, en accord avec ses collègues, mais avec obligation d’expliquer son refus dans le dossier médical, dans deux cas : si elles sont « manifestement inappropriées » (une patiente aurait écrit « ne pas vouloir de tuyaux » ) ou en situation d’urgence vitale. Problème : des soignants s’inquiètent de devoir être « obligés » d’effectuer des actes auxquels ils se refusent si l’intention est de donner délibérément la mort. Disposeront-ils d’une sorte de clause de conscience ? Autre interrogation : comment standardiser les DA ? Quant au droit à une « sédation profonde », autre enjeu de la PPL, certains redoutent que cela entraîne une tendance à négliger l’accompagnement et les soins palliatifs alors que leur développement est précisément un des objectifs visés par ce texte.

Société
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