Nonant-le-Pin : La décharge tombe sur un os

À Nonant-le-Pin, petite bourgade de l’Orne, des opposants empêchent l’ouverture d’un immense site de stockage de déchets automobiles.

Lou-Eve Popper  • 8 janvier 2015 abonné·es
Nonant-le-Pin : La décharge tombe sur un os
© Photo : Lou-Eve Popper

Deux caravanes, une bâche, des toilettes sèches. Une guirlande a été accrochée à l’occasion des fêtes de fin d’année. Dans un arbre qui surplombe la route, en face du site, les militants ont installé un siège pour surveiller les activités de la décharge, située en contrebas, loin des regards. Même si elle ne constitue pas à proprement parler une zone à défendre (ZAD) comme à Sivens ou à Notre-Dame-des-Landes, la petite installation toise l’ennemi. « Cette lutte représente maintenant 90 % de ma vie », affirme Noëlle Sandoz, présidente de l’association Nonant-Environnement. Une motivation partagée par les 200 militants mobilisés face à la puissante entreprise Guy Dauphin Environnement (GDE). Ce géant du recyclage a décidé, en 2006, d’ouvrir son premier site d’enfouissement de déchets industriels à Nonant-le-Pin, au cœur de l’Orne, à cinq kilomètres du célèbre haras du Pin. Une méga-décharge qui accumulerait, pendant dix-sept ans, 150 000 tonnes de déchets par an, faisant surgir des collines artificielles de 30 mètres de haut. Enfouis au-dessus d’une nappe phréatique, les « résidus de déchets automobiles » (RDA) entreposés risquent de polluer les eaux et les sols de tout le département. Tous les accès sont bouclés, mais, en empruntant un chemin communal, on finit par apercevoir la décharge en chantier depuis les grilles qui bordent le site. On distingue de grandes bâches plastifiées tapissant le fond d’une vaste excavation, censées empêcher les polluants de se déverser dans la nature. Le site paraît endormi. Jusqu’au prochain jugement.

« On peut remercier GDE… pour nous avoir convertis à l’écologie », reconnaît Émilie Dehaudt. Les opposants au projet en conviennent : avant la lutte, l’environnement n’était pas une priorité pour les habitants. Jusque-là, c’est bon gré mal gré que les agriculteurs se pliaient aux normes écologiques. En passant en force avec le soutien de l’État, GDE a suscité un changement de point de vue. Un agriculteur, âgé de 80 ans et fort peu « écolo », signale avoir voté pour Karima Delli aux élections européennes.

Catégorisée « grand projet inutile » par la mouvance écologiste, aux côtés du barrage de Sivens, de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ou du Center Parcs d’Isère, la lutte de Nonant-le-Pin refuse cependant le mélange des genres. « Nous nous battons contre un industriel, pas contre l’État, face à un risque de pollution réel et immédiat », argumente Émilie Dehaudt. Mais, surtout, leur action militante, bien qu’ayant tenu une petite redoute pendant une année, n’aurait pas vocation à installer une ZAD. « À Nonant-le-Pin, nous ne sommes pas des pyjamas à dreadlocks, assume-t-elle. Je ne veux pas être associée aux gens qui luttent contre le Center Parcs. » Stéphane Meunier acquiesce : « Les zadistes, avec leur discours anticapitaliste, pourraient militer partout.

Ici, nous nous sommes simplement emparés de l’opposition à ce projet précis. » Pas d’accord, Jean-Pierre Fontaine, président de la communauté de communes de Sée, proche de Nonant-le-Pin, verrait d’un bon œil l’arrivée de zadistes. Un brin provocateur : « Si on doit se battre avec les flics, on le fera ! »

La guerre des tranchées engagée depuis 2012 entre les opposants et l’entreprise GDE pourrait se conclure le 21 janvier. Ce jour-là, la cour d’appel de Caen, saisie par l’entreprise, se prononcera sur l’avenir de la décharge. Et peut-être confirmera-t-elle la décision prise le 13 mai 2014 par le tribunal correctionnel d’Argentan : la fermeture du site, à la suite d’une plainte pour dépôts illicites de déchets, portée par France nature environnement (FNE) et le Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid). En effet, entre le 22 et le 24 octobre 2013, GDE s’est rendue coupable du déversement de pneus, pourtant interdits d’enfouissement. Dès le lendemain, la population locale s’est mobilisée pour organiser un blocus devant le site. Jour et nuit, pendant un an, les opposants ont empêché l’accès aux camions. Ils se sont faits expulser en pleine nuit le 6 octobre dernier. Pas découragés pour autant, les anti-GDE ont installé un nouveau piquet de lutte de l’autre côté de la départementale, sur un bout de champ prêté par un agriculteur. Le géant du recyclage dispose du soutien de Jacques Queudeville, maire de Nonant-le-Pin. Contacté par Politis, celui-ci n’a pas voulu faire de commentaires. « Les habitants du bourg, invités par GDE à des cocktails, sont dans une grande majorité favorables à l’implantation du centre », raconte Noëlle Sandoz. Son militantisme lui vaut de recevoir chaque semaine une lettre de menaces anonyme. Sous la pression, une de ses collègues a même préféré déménager. Plus conséquent, l’appui d’Alain Lambert, président du conseil général de l’Orne et ancien ministre du Budget. Son ancien directeur de cabinet, Alain Pelleray, est propriétaire de la SEP, une entreprise de recyclage ayant fait des affaires avec GDE. Un conflit d’intérêts, dénoncent les opposants. Sollicitée par Alain Lambert, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’Écologie, aurait empêché le préfet de contrer l’installation de GDE, qui a décroché son permis d’exploitation en février 2011, malgré une expertise défavorable en 2007. « On intoxique les gens impunément », se scandalise Thierry Besnard, éleveur de chevaux.

Les opposants, quant à eux, ont reçu le soutien d’élus écologistes. Les eurodéputés EELV José Bové et Karima Delli se sont déplacés plusieurs fois. Depuis deux mois, Karima Delli demande à Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, de suspendre l’autorisation d’exploitation. Sans résultat. Si la lutte a pu tenir jusqu’à ce jour, face au poids économique et politique des pro-décharge, c’est que les riverains et agriculteurs ont été rejoints par les éleveurs de chevaux des alentours. Les haras qui bordent le site sont mondialement reconnus, et leurs chevaux valent des fortunes. Si le site venait à polluer leurs terres, les éleveurs seraient ruinés. « GDE s’est cru le roi du pétrole en arrivant à Nonant-le-Pin, commente Émilie Dehaudt, militante de la première heure et coordinatrice du Front de résistance de l’Orne. L’entreprise a pensé qu’en achetant le maire et les habitants, âgés pour la plupart, le tour était joué. Mais c’était oublier la puissance des éleveurs. Avec Nonant-le-Pin, GDE est tombé sur un os. » La difficulté pour les militants : éviter que leur lutte apparaisse menée au profit de quelques exploitants fortunés. Partage des tâches : les éleveurs se chargent de la communication et du financement de la résistance, grâce à des saillies de pur-sang dont ils ont attribué aux associations la moitié du bénéfice pour payer experts et avocats. « On nous voit moins que les militants sur le terrain pour tenir le blocus », convient Stéphane Meunier, vice-président du syndicat des entraîneurs de trot. « Mais la catastrophe ne guette pas que les éleveurs, c’est une question de santé publique, insiste Émilie Dehaudt. Ce projet dresse contre lui des gens de tout âge, de toute catégorie professionnelle et de toute sensibilité politique. » Les opposants s’avouent dans l’expectative, à l’approche du 21 janvier, soupçonnant la cour d’appel de Caen d’être acquise à GDE. Mais le moral reste intact. Car les expertises, commandées par le tribunal d’Argentan en mai 2013, ont fait apparaître des failles dans le dossier – le site ne serait pas conforme aux critères environnementaux. Des métaux lourds et autres substances polluantes ont notamment été signalés dans les eaux à proximité de la décharge. « On ne sait pas quand, mais nous sommes convaincus que nous finirons par l’emporter », affirme Noëlle Sandoz.

Écologie
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