Ukraine : La perspective d’un désastre

La droite américaine fait pression pour l’armement des troupes ukrainiennes contre la Russie. En attendant pire.

Denis Sieffert  • 12 février 2015 abonné·es
Ukraine : La perspective d’un désastre
© Photo : AFP PHOTO / DOMINIQUE FAGET

Mise à jour sur la situation en Ukraine au 12/02/2015 : Un accord de cessez-le-feu a été signé entre Kiev et les séparatistes, à Minsk, à l’issue de longues négociations entre Vladimir Poutine, le président ukrainien Petro Porochenko, François Hollande et Angela Merkel.

Lire > Ukraine : Accord de cessez-le-feu à Minsk


Les présidents russe et ukrainien et les dirigeants européens se sont entendus sur un cessez-le-feu, à compter du 15 février, le retrait des armes lourdes et la création d’une zone tampon élargie.

La question ukrainienne réveille les instincts guerriers des néoconservateurs américains. L’inévitable sénateur républicain John McCain vient de plaider pour que les Occidentaux arment les troupes de Kiev dans le conflit qui les oppose aux séparatistes pro-Russes du Donbass. Plus modéré, Barack Obama se dit partisan d’envoi d’armes dites défensives, non létales. Au contraire, la France et l’Allemagne privilégient toujours une solution diplomatique. Après une visite à Kiev et une rencontre avec Vladimir Poutine au Kremlin, Angela Merkel et François Hollande tentent de remettre sur la table le schéma dessiné à Minsk en septembre, et qui devait être réétudié dans la capitale bélarusse ce mercredi. Il passe par l’instauration d’un véritable cessez-le-feu auquel pour l’instant, et faute d’un accord sur le fond, Vladimir Poutine se refuse. Pendant ce temps, les milices pro-russes, solidement armées par Moscou, continuent d’engranger les victoires, menaçant même de prendre la ville de Marioupol, toujours fidèle à Kiev. Un enjeu stratégique dont la conquête permettrait aux séparatistes de relier la Crimée, déjà annexée, à la Russie. Une avancée qui rend plus difficile encore la négociation. Faudra-t-il tenir compte de la nouvelle ligne de front dans un éventuel accord ou revenir à ce qu’elle était en septembre dernier ?

Si le plan ébauché à Minsk à la fin de l’été dernier n’a pas été suivi d’effet, c’est aussi qu’il donne lieu à des interprétations très différentes sur le fond. Pour les Occidentaux comme pour Kiev, le préalable est la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’intégrité de l’Ukraine. L’autonomie des régions qui serait concédée dans ce cadre ne correspondrait pas à la « fédéralisation » exigée par le président russe. Les Occidentaux redoutent que celle-ci soit un premier pas vers la désintégration du pays, ce que la détermination de Vladimir Poutine fait craindre en effet. Un cas typique de prophétie autoréalisatrice. En surarmant les séparatistes, la Russie confirme les craintes de l’Ukraine et des Occidentaux, tandis que les menaces américaines et les projets d’installation de bases de l’Otan alimentent le discours irrédentiste de Moscou. À chacun, ses « néoconservateurs ». Dans cette situation, les efforts franco-allemands sont plutôt louables. Même si, en France, les lobbies proches de la droite américaine commencent à donner de la voix. Dans une tribune du Monde (daté des 8 et 9 janvier), le politologue François Heisbourg multiplie les références guerrières : l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938, Pearl Harbour et la guerre civile yougoslave… pour justifier que l’on ne s’en tienne pas aux sanctions économiques.

La logique de guerre est pourtant connue. Des armes livrées à l’Ukraine se révéleraient rapidement insuffisantes, provoquant une surenchère de Moscou, qui, dans ce domaine, ne manque pas de moyens. Soit cette stratégie finirait par favoriser le dessein de Vladimir Poutine, l’autorisant à aller aussi loin qu’il le souhaite. Soit, il faudrait que les Occidentaux surenchérissent à leur tour. On irait alors droit à une confrontation directe avec la Russie dont il est inutile de souligner les conséquences. Reste donc à préciser le schéma de Minsk pour parvenir à un accord sur la nature de l’autonomie des régions orientales, leurs contours et la sécurisation des frontières. Aucun de ces points pour l’instant ne fait l’objet d’un accord. Mais le temps ne joue pas forcément pour la Russie, frappée par les sanctions économiques et en proie, à l’intérieur, à un début de contestation d’une guerre qui ne dit pas son nom mais qui a déjà fait plus de cinq mille morts. Même si la majorité des victimes est constituée de civils ukrainiens, le sort des soldats russes disparus commence à créer un mouvement d’opinion qui va en grandissant.

Monde
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