La finance d’abord

Le groupe Banque populaire et Caisse d’épargne est en excellente santé, tandis que de nombreux salariés sont en souffrance.

Thierry Brun  • 19 mars 2015 abonné·es
La finance d’abord
© Photo : AFP PHOTO / BERTRAND GUAY

Les alertes affluent de toute part : « Nombre de nos collègues craquent ou tiennent uniquement grâce aux médicaments. Nous sommes confrontés à des contraintes ingérables », prévient une intersyndicale du groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE) récemment constituée, qui rassemble tous les syndicats du groupe (CFDT, CFTC, CGT, FO, SNE, SUD, Unsa). Ces organisations sont unanimes pour tirer la sonnette d’alarme sur une « dégradation des conditions de travail jamais observée à ce jour dans le groupe ». Elles appellent les salariés à se mettre en grève le 24 mars pour un mouvement inédit dans l’histoire de l’union des banques populaires et des caisses d’épargne. « Nous sommes en permanence en concurrence entre salariés. Il faut être continuellement devant les autres et nous sommes en sous-effectifs, ce qui fait que l’épuisement professionnel est généralisé. Du coup, les objectifs commerciaux sont inatteignables », décrit Olivier Le Saëc, conseiller commercial, syndicaliste de SUD-BPCE et membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions du travail (CHSCT) des caisses d’épargne d’Île-de-France.

L’année dernière, le syndicat a obtenu la condamnation de la Caisse d’épargne Rhône-Alpes devant la cour d’appel de Lyon. En cause, une organisation du travail nommée «  benchmark  » fondée sur la mise en concurrence des employés entre eux et qui « compromet gravement la santé des salariés ». Pour motiver sa décision, le juge avait pris en compte la dizaine de rapports d’alerte des médecins du travail, « ainsi que les multiples critiques factuelles et concordantes émanant de l’inspection du travail, du cabinet Aravis chargé d’une expertise, des assistantes sociales, du CHSCT et des autres instances représentatives du personnel », résume SUD-BPCE, qui prépare un dossier pour déclencher un droit d’alerte dans les entreprises du groupe mutualiste. Malgré les alertes répétées de l’ensemble des syndicats de BPCE pour dénoncer les effets délétères du benchmark, les dirigeants « ont refusé d’entendre et de prendre en considération cette situation pathogène », annonce l’intersyndicale, laquelle dénonce aussi le plan stratégique du groupe pour 2014-2017. Il « se traduit au quotidien par une nette augmentation de la pression commerciale et managériale pour atteindre cet objectif aussi irresponsable que dangereux : “Doubler les résultats en diminuant les effectifs” ! ». La mise en place de la banque numérique dans les 450 agences de la Caisse d’épargne d’Île-de-France « se traduit par une forte baisse des effectifs, constate Olivier Le Saëc. Entre janvier 2014 et janvier 2015, on a perdu 180 salariés et nous sommes face à un absentéisme record. Il manque 650 personnes, qui sont pour une grande part en maladie ou en dépression ». La tension est montée d’un cran en février, lors de la publication des résultats financiers du deuxième groupe bancaire en France. « Une bonne année », s’est félicité François Pérol, président du directoire du groupe. « Ces résultats et ces succès de la première année sont les vôtres et vous remercier  [sic] de votre engagement pour la réussite du groupe », a-t-il écrit aux salariés dans un courrier électronique dressant le bilan de la première année du plan stratégique. La phrase, bancale, a suscité un tollé syndical, le personnel étant « au régime sec » dans les caisses d’épargne et les banques populaires. Les objectifs commerciaux d’un conseiller « ont été revus à la hausse : plus de 30 % supérieurs à ceux de l’année dernière pour déclencher une prime au résultat. Il faudra atteindre 120 % de l’objectif pour espérer quelque chose !, gronde Olivier le Saëc. Et côté banques populaires, les salariés n’auront aucune augmentation cette année » .

Or, les bénéfices du groupe ont grimpé à 3,1 milliards d’euros nets et Natixis, banque d’affaires de BPCE, a annoncé une distribution de dividendes représentant 86,7 % des résultats dégagés en 2014. Surtout, les dirigeants se sont attribué des émoluments considérables, « variant de 350 000 euros pour le dirigeant local “le plus mal payé” jusqu’à près de 2 millions d’euros pour le patron de Natixis », grincent les syndicats. Ainsi, François Pérol percevra en 2015 une part de variable de 851 858 euros, en plus de sa rémunération fixe de 550 000 euros, soit 1,4 million. À lui seul, Laurent Mignon, président du directoire de Natixis, a empoché 1,76 million d’euros en 2013, soit une augmentation de 14,8 %. 2014 devrait donc être une « bonne année » pour François Pérol et l’ensemble des cinq plus hauts dirigeants de BPCE qui avaient déjà cumulé plus de 6 millions d’euros de rémunérations en 2013. Interrogé sur la grogne sociale dans le groupe, François Pérol n’a pas trouvé mieux que de brocarder « ces syndicats qui veulent éradiquer le système financier ».

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