États-Unis : Les McDo à la diète

Entre nouveaux concurrents, exigences de qualité et jeunes qui délaissent la marque, la chaîne de fast-food est en crise et peine à se renouveler. Correspondance à New York d’Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 30 avril 2015 abonné·es
États-Unis : Les McDo à la diète
© Photo : Christoph Schmidt / DPDA / AFP

Ronald McDonald a du mal à sourire ces jours-ci. Le vaisseau McDonald’s est confronté à une crise sévère et ne cherche pas à le masquer. Dans un communiqué publié en mars, faisant état d’une baisse générale de ses ventes aux États-Unis et en Asie, la chaîne pointe un « besoin urgent d’évoluer avec les consommateurs d’aujourd’hui, de rétablir des priorités stratégiques et de retrouver une attraction commerciale ». Un langage assez direct pour être signalé. De fait, les chiffres sont accablants pour le géant du burger (36 000 restaurants sur la planète, dont 14 000 aux États-Unis). Les ventes dans ses établissements non franchisés dans le monde ont atteint 18,1 milliards de dollars en 2014, leur plus bas niveau depuis 2010. Même tendance chez les franchisés, qui n’avaient pas généré un chiffre d’affaires aussi bas depuis 2011. La chute des ventes est particulièrement forte aux États-Unis (-4 % en février), alors qu’elles augmentent légèrement en Europe (+0,8 % le même mois).

Raison de s’inquiéter pour McDonald’s : ce n’est pas uniquement que ses clients achètent moins, c’est qu’il y a aussi moins de clients (-3,6 % en 2014 au niveau mondial). « McDonald’s, Burger King et les autres sont des marques vieillottes aux États-Unis. Auparavant, les employés étaient accueillants, souriants. Aujourd’hui, ce sont souvent des personnes âgées qui travaillent là parce qu’elles n’ont pas le choix, analyse Andrew Smith, auteur de Hamburger. A Global History. Désormais, aux États-Unis, il y a de nouvelles marques de fast-food qui représentent la révolution que McDonald’s portait dans les années 1950. » Depuis sa création, en 1940, McDonald’s a essuyé beaucoup de tempêtes et s’est malgré tout adapté. Dans les années 1970, par exemple, la chaîne était surtout présente dans les banlieues pavillonnaires américaines. Quand la crise pétrolière a déclenché une hausse des prix du carburant, en 1973, elle a choisi de se recentrer sur les centres-villes et les grands ensembles urbains, redoutant un recul de l’utilisation de la voiture. Pari réussi. En 2004, après que l’enseigne eut été mise en cause dans le documentaire Super Size Me, de Morgan Spurlock, pointant les effets néfastes sur la santé des produits McDo, le PDG de l’époque, Jim Skinner, avait introduit davantage de salades dans les menus pour changer l’image de temple de la malbouffe de la firme. Cependant, les difficultés actuelles de McDonald’s sur le territoire où il est né sont plus profondes, car intimement liées à l’évolution des habitudes culinaires américaines. Des changements qui s’expliquent par l’implacable mécanique démographique du pays, où la « génération du millénaire », plus exigeante sur la qualité des produits et sur l’éthique, monte en puissance.

Depuis une décennie, l’enseigne au « M » jaune doit faire face à la progression fulgurante des restaurants dits «  fast casual  », qui proposent des plats d’alimentation rapide (burgers, sandwichs, burritos…) composés d’aliments sains. Certes, pour le moment, ils représentent une partie infime des visites dans les restaurants de fast-food américains (6 % contre 79 % pour les enseignes traditionnelles de type McDonald’s), mais leur part de marché ne cesse d’augmenter : +550 % depuis 1999, soit dix fois la croissance du secteur du fast-food sur la même période, selon la société de consulting Euromonitor. Aux États-Unis, Shake Shack est le symbole de cette nouvelle donne. Apparue à New York en 2000 comme simple stand de hot-dogs, la marque est désormais internationale et cotée en bourse, avec 63 restaurants dans le monde, dont 40 dans le pays. Le pari des fondateurs : proposer des burgers plus chers que la moyenne, mais servis avec de la viande sans hormones et une grande sélection de sauces. Le personnel en cuisine peut aussi adapter la cuisson sur demande, ce qui n’est pas le cas chez McDonald’s.

Autre choix des fondateurs : mieux payer les employés pour les motiver. À New York, les salariés de Shake Shack gagnent deux dollars de plus par heure que le salaire minimum, et touchent un bonus en fonction des revenus du restaurant. L’enseigne dépense peu en marketing traditionnel, privilégiant les réseaux sociaux comme Vine ou Instagram pour cibler une clientèle plus jeune. Et ça marche : Shake Shack s’étend. Son chiffre d’affaires est passé de 19,5 millions de dollars en 2010 à 82,5 millions en 2014. Avec difficulté, McDonald’s a tenté de s’adapter. Il y a quelques années, il a voulu lancer son « Premium McWrap », un sandwich a priori plus sain à base de concombre. Simple et louable sur le papier, mais compliqué à mettre en œuvre. Le quotidien The New York Times raconte que la marque a mis deux ans pour créer une chaîne d’approvisionnement solide : elle n’avait pas l’habitude de travailler avec des producteurs de concombres. Autre tentative : offrir des burgers « sur mesure », que le client peut composer à sa guise. Problème : ces formules ne pouvaient être servies qu’en restaurant. Tant pis pour les nombreux acheteurs qui passent au « McDrive » («  Drive thru  »). L’allongement des menus, pour proposer plus d’options, s’est également retourné contre le géant du fast-food. Il y a dix ans, il fallait 152 secondes pour livrer une commande dans un «  Drive thru  ». Aujourd’hui, le temps d’attente est passé à 180 secondes.

À cela s’ajoutent les problèmes d’image de McDonald’s. La chaîne a récemment été mise en cause par le Fast-Food Forward, un groupe à l’origine de manifestations nationales pour demander l’augmentation des salaires des employés de fast-food états-uniens. En mars, dans 19 villes, des salariés de McDo ont très médiatiquement porté plainte contre l’entreprise, arguant pour certains que, faute d’équipement adéquat, leurs responsables leur avaient conseillé de soigner des brûlures liées au maniement du gril avec de la moutarde ou de la mayonnaise. Pour se relancer, en mars, McDonald’s s’est choisi un nouveau PDG : le Britannique Steve Easterbrook, qui a déjà redressé l’enseigne en Grande-Bretagne. Ses premières annonces : renoncer d’ici à deux ans aux poulets aux antibiotiques et augmenter les salaires dans les restaurants non franchisés aux États-Unis. Mais pour Bonnie Riggs, spécialiste du marché de la restauration au sein du groupe de conseil NPD, les établissements de fast-food traditionnels pratiquent un numéro de funambule : «  Ils doivent s’adapter sans délaisser ce qu’ils font de mieux  : un hamburger livré rapidement. »

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