Gaza : « Mon métier ? Demander de l’aide »

Un an après les bombardements israéliens sur Gaza, la reconstruction est au point mort. Et l’étau économique ne cesse de se resserrer sur la population, avec de nouvelles mesures de rétorsion.

Wissam Alhaj  • 22 juillet 2015 abonné·es
Gaza : « Mon métier ? Demander de l’aide »
© Photo : Ashraf Amra/Anadolu Agency/AFP

C’est toujours la même histoire. Après chaque offensive israélienne sur Gaza, il est question de reconstruction, de levée du blocus et de garantie d’un développement permettant aux habitants de vivre enfin normalement. Un an après le dernier déluge de bombes, qui avait fait 2 168 morts, l’incrédulité est à son comble. « Le désespoir, la misère et le déni de la dignité sont la réalité de la vie des gens ordinaires », résume Pierre Krähenbühl, le commissaire général de l’UNRWA, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés. Pourtant, en octobre 2014, deux mois après la fin de la guerre, plus d’une cinquantaine de pays et d’organisations internationales avaient promis 5,4 milliards de dollars pour la reconstruction de la bande de Gaza. L’envoyé onusien pour la paix au Moyen-Orient, Robert Serry, avait alors annoncé un accord entre l’ONU, Israël et l’Autorité palestinienne. Dix mois plus tard, moins de 1 % des matériaux de construction sont arrivés à Gaza, selon un rapport d’OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies.

La maison de Taleb Naiem, un jeune homme de Beit Hanoun, la ville agricole frontalière au nord de la bande de Gaza, a été partiellement détruite. Il était bénéficiaire de la GRM (le plan d’aide à la reconstruction) : « Ils ont estimé la valeur des dommages de ma maison à moins de 2 500 dollars, ils m’ont donné de l’argent et m’ont dit que mon nom et la quantité des matériaux de construction nécessaires avaient été donnés au fournisseur. Ils ont mal calculé et je n’ai pu faire que la moitié des travaux, puis je me suis pris la tête avec eux quand ils sont revenus pour s’assurer que je n’avais pas vendu le ciment au marché noir. » Malgré tout, Taleb s’estime chanceux quand il compare sa situation à celle de son voisin, Sharif, qui habite avec sa famille composée de sept membres dans une caravane installée avec beaucoup d’autres dans l’ancien terrain de foot, près du centre-ville.

Les maisons considérées comme endommagées mais habitables ont profité de ce mécanisme qui assure la distribution des matériaux sous une surveillance étroite. En revanche, les quelque 120 000 habitants dont les maisons ont été complètement détruites, ou estimées inhabitables, vivent toujours dans des écoles ou dans des caravanes fournies par des donateurs, et pas une seule demeure n’a été reconstruite. Le mécanisme en question est critiqué par des associations de la société civile et des organisations politiques palestiniennes : « C’est la première fois que la communauté internationale donne une légitimité au blocus et participe à l’institutionnaliser. C’est un chantage pour mettre à genoux les Gazaouis et donner à Israël par la paix ce qu’elle n’a pas gagné par la guerre », accuse Tholfakar Swerjeo, rédacteur en chef de Radio Asha’b et dirigeant de la gauche. Pour lui, le mécanisme imposé à l’Autorité palestinienne par les Nations unies laisse le contrôle, et même le profit économique, de la reconstruction de la bande de Gaza aux Israéliens.

« Ils ont détruit, et les Nations unies veulent qu’on les paie pour reconstruire nos maisons », ajoute-il. Le cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, sous l’égide de l’Égypte, avait théoriquement garanti l’assouplissement temporaire du blocus israélien, renforcé depuis 2007. Mais, depuis lors, l’économie déjà sinistrée de la bande de Gaza a plutôt connu une régression. La zone de pêche, qui avait été élargie à 6 km et devait l’être encore à 12 km, est ramenée à 4 km depuis mars dernier (soit 18 % de la zone autorisée par les accords d’Oslo). Et 38 % des terres agricoles sont situées près des frontières, c’est-à-dire dans la zone interdite par les Israéliens. Une zone perdue pour les Gazaouis, qui représente 17 % de la surface totale de la bande de Gaza. Les commerces et les petites industries, qui dépendaient dans leur grande majorité de produits venant d’Égypte livrés par les tunnels, sont condamnés depuis la destruction des tunnels par le gouvernement égyptien.

Après plusieurs années de chômage, Hussam, 28 ans, diplômé en sociologie de Rafah, la ville près de la frontière égyptienne, avait ouvert une épicerie avec ses frères en y investissant un héritage. Son magasin a été réduit en cendres pendant la guerre. « Avec mes deux frères et trois ouvriers, dit-il, on gagnait notre vie grâce à ce magasin, on vendait des produits venant d’Égypte et ça marchait très bien, mais aujourd’hui l’un des ouvriers est mort, les autres sont au chômage, et moi je tiens un balai dans la rue. » Dans le cadre d’un projet d’une ONG internationale, il bénéficie en effet d’un travail de deux mois comme agent d’entretien à la mairie. Le cas d’Hussam n’est pas isolé, 85 % de la population de Gaza vit aujourd’hui grâce à l’aide des différents donateurs. Cette situation, qui ne cesse de s’aggraver, pousse une grande partie de la population au bord de l’explosion. Avec un risque de radicalisation débordant le Hamas, comme en témoignent les bombes qui ont détruit, le 19 juillet, des voitures appartenant aux branches armées du Hamas et du Jihad islamique.

Pour Abu Khalil, père de quatre enfants habitant le camp du Nuseirat, la vie n’a jamais été rose. « Vous me demandez quel est mon métier ? Celui que j’ai exercé le plus est de faire le tour des bureaux des Nations unies et des associations humanitaires pour demander de l’aide », dit-il. Ce travailleur dans le bâtiment est au chômage depuis 2007. Son métier aujourd’hui est de ramasser les débris des maisons détruites pendant la guerre, de casser le bitume, d’en extraire le fer et de le revendre aux gens qui n’ont pas le droit d’acheter des matériaux dans le cadre du GRM. C’est le seul moyen d’obtenir ces matériaux interdits d’accès à Gaza par Israël. Ce travail lui fait gagner entre 3 et 4 euros par jour. « La pauvreté, je l’ai bien connue auparavant, mais ce que nous vivons aujourd’hui, c’est une chose pour laquelle il faut inventer un nom. »

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