COP 21, anthropocène et capitalisme

Il n’y a pas que la force de travail qui a été exploitée, mais aussi les ressources naturelles.

Jérôme Gleizes  • 14 octobre 2015 abonné·es

Le cinquième et dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a confirmé la responsabilité humaine dans le réchauffement. C’est une preuve de plus que nous sommes entrés dans l’anthropocène. Les êtres humains sont devenus des acteurs géologiques. Par leur action régulière, ils modifient des équilibres de très long terme. Ils ont injecté une telle quantité de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) dans l’atmosphère qu’ils ont renforcé l’effet de serre. Mais il est facile de rendre anonyme cette responsabilité. Or, ce n’est pas un hasard si cet emballement est consubstantiel de l’avènement du capitalisme.

Trop longtemps, le capitalisme a surtout été appréhendé dans la dimension de l’appropriation privée des moyens de production et de l’exploitation de la classe ouvrière. Mais il est surtout un mécanisme d’accumulation infinie du capital. Il n’invente pas l’exploitation de la force de travail qu’on retrouve dans le féodalisme ou dans l’Antiquité ; en revanche, il l’organise pour améliorer sa productivité. Dans la période fordienne des Trente Glorieuses, il augmente les salaires pour que la production de masse puisse coïncider avec la consommation de masse. Il crée une croissance qui nécessite de fait une accélération de l’accumulation du capital. Cette croissance n’a été possible qu’avec une destruction accélérée de ressources non renouvelables, à commencer par les hydrocarbures (charbon, pétrole, gaz naturel). Rare sont les analyses qui montrent que la consommation d’hydrocarbures a permis une substitution de l’énergie humaine par l’énergie carbonée et que cette substitution a permis de démultiplier les capacités de production [^2]. Une machine consomme de l’énergie, qu’elle transforme en énergie mécanique ou thermique, avec un meilleur rendement que la force humaine. Parmi les hydrocarbures, le pétrole possède des qualités chimiques exceptionnelles. « Il a remplacé le charbon comme énergie de référence. Liquide, facilement transportable et stockable, de haute intensité énergétique, l’or noir est devenu le moteur invisible de la croissance, surtout à partir des années 1950-1960 [^3].  »

Ce développement exceptionnel de la croissance a un coût environnemental avec le dérèglement climatique. Ajouté à la raréfaction des ressources non renouvelables, il accélère la progression des inégalités non économiques (conditions de vie et habitat dégradés…). Et la conjonction des crises économiques et environnementales porte un potentiel de conflits inégalé depuis 1945. Il ne peut y avoir de capitalisme sans augmentation de la production, de capital accumulé avec une consommation croissante d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a pas que la force de travail qui a été exploitée, mais aussi les ressources naturelles. Au-delà de l’appel de la société civile « Crime climatique stop ! », contre l’extraction du pétrole et du charbon, il y a un système à condamner pour préserver la paix. Ce que la COP 21 ne fera pas.

[^2]: Voir notamment : « Combien je suis esclavagiste ? », Jean-Marc Jancovici, manicore.com

[^3]: « Énergie et développement », Gilles Carbonnier et Jacques Grinevald, Revue internationale de politique de développement, mai 2011.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes