Attentats : Le deuil de l’insouciance

Déjà précarisée, la jeunesse est la victime principale des attentats du 13 novembre. Mais elle dispose des armes pour dépasser les divisions et reprendre l’avenir en main.

Sasha Mitchell  • 25 novembre 2015 abonné·es
Attentats : Le deuil de l’insouciance
© Photo : Tawatao/Getty Images/AFP

Le 13 novembre, la terreur a frappé des terrasses de café et une salle de concert de l’Est parisien. Des lieux pleins d’effervescence, de vie et surtout de jeunesse. « Les tueurs ont choisi leurs victimes parce qu’elles sont celles qui font le plus de bruit, celles dont la mort est la plus explosive dans la société, avance le psychiatre et psychanalyste Gérard Bayle. Ce sont les plus vivants, ceux dont la mort aura le plus d’écho et fera le plus de mal. »

Mal aux familles, aux proches et à toute une génération traumatisée. Déjà frappée par un marché du travail déliquescent et un passage obligé par une précarité « normalisée », cette jeunesse « Y » et « Z » doit désormais faire face à un avenir qu’on lui prédit guerrier et ultra-violent, jusque dans les rues de la capitale. « La confirmation de la fin d’une insouciance » déjà bien entamée, pour le philosophe Michaël Foessel, auteur du Temps de la consolation (Seuil). « Il existe deux formes d’insouciance pour notre génération, analyse Léa Frédeval, auteure des Affamés. Chroniques d’une jeunesse qui ne lâche rien  (Bayard). La première est une insouciance individuelle, qui a pris fin face à la réalité de la crise économique. La seconde est l’insouciance globale. Celle qui consiste à penser qu’en France on est tranquille, qu’on peut aller boire un verre et prendre du bon temps. Cette insouciance-là, qui relève moins de l’avenir professionnel que de l’avenir tout court, risque de disparaître après les attentats du 13 novembre. Il appartient désormais à notre génération de reconquérir la première forme et de ne pas lâcher la seconde. » Dans l’immédiat, alors que l’émotion est encore vive, la priorité est de retrouver des repères, de surmonter le désarroi et la peur d’une nouvelle attaque.

« On observe une vaste désorganisation que les gens réorganisent avec les restes d’une pensée magique généralement caractéristique des enfants, explique Gérard Bayle. Il s’agit de chercher du sens. C’est une sorte de prélogique pour éviter le désespoir et une tentative d’organisation en face d’une anomie. On peut aussi réagir par un désir d’action. » Dès le lendemain des attentats, les appels se multipliaient sur les réseaux sociaux pour continuer à se retrouver dans ces lieux de « consolation » que sont les bars et les cafés. Car c’est à cette génération meurtrie que revient la responsabilité de reprendre l’avenir en main, de ne pas céder à la division et de refaire naître l’espoir. « Il est absolument nécessaire de laisser parler la jeunesse sous toutes ses formes, affirme Léa Frédeval. Que l’on soit étudiant ou travailleur précaire, jeune bourgeois aisé, parisien, provincial, quelle que soit notre couleur de peau ou notre religion, toute la jeunesse a désormais au moins un combat en commun : celui du vivre-ensemble, un terme qui peut paraître galvaudé, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. » Toutefois, l’état d’urgence décrété par François Hollande ajoute un défi : celui de ne pas abandonner le combat pour l’amélioration des conditions de vie, plus que jamais nécessaire. « Ce qui me frappe, c’est que le gouvernement, à travers sa position guerrière, inscrit une crise violente dans l’indéfini, constate Michaël Foessel. C’est une manière assez conservatrice d’obstruer le futur par le sécuritaire, alors qu’il faudrait aussi être sur le terrain de la lutte sociale. »

La résistance, pour dissiper la peur de l’avenir, s’annonce des plus complexes et ne pourra donc se limiter à la réappropriation des terrasses. Le futur se joue dès à présent, dans la capacité de la jeunesse à résister à la violence. En réintégrant la frange laissée entre les griffes de l’extrémisme et en s’efforçant, par tous les moyens, de «   donner naissance à quelque chose de nouveau ». « Le problème, c’est qu’on nous a habitués à nous taire, à intégrer le silence comme on a intégré la précarité, regrette Léa Frédeval. Mais je suis persuadée que nous ne sommes pas encore assez abîmés pour nous taire définitivement. Nous avons le devoir de nous lever moralement, physiquement et dans les urnes. Même pour les petites choses, s’il y a une altercation dans le métro, par exemple. Ce n’est pas en ne faisant rien que nous aurons ce que nous voulons. »

Société Police / Justice
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