L’urgence laisse place à l’arbitraire
Manuel Valls fait un peu penser à Kaa, le python du Livre de la Jungle qui hypnotise Mowgli en lui chantonnant « aie confiance ». Mais il a beau dire et redire aux français qu’on ne réduit les libertés que pour mieux les protéger et que la sécurité et la guerre contre le terrorisme justifient les pouvoirs exceptionnels accordés aux services policiers depuis que l’état d’urgence a été décrété, il ne peut pas en occulter les multiples dérapages.
Le 30 novembre on en était à 2000 perquisitions diligentées un peu partout en France, à 529 gardes à vue et à 300 assignations à résidence. Parmi les gardés à vue 317 manifestants ( plus de la moitié) qui ont osé aller trainer du côté de République le 29 novembre, jour d’ouverture de la COP 21 et parmi les assignés 24 militants écologistes. On est bien loin de la traque des responsables de mosquées préchant la radicalisation, ou de l’identification de lieux fréquentés par des aspirants terroristes, de planques et de caches d’armes. L’un de ces militants, résidant en Ariège, a exprimé, dans une lettre ouverte publiée dans Politis , ce qu’il pensait de cette application arbitraire de l’état d’urgence. Les gendarmes sont venus lui remettre un avis d’assignation à résidence l’obligeant à ne pas quitter mon village, à rester à son domicile de 20 h à 6 h et à pointer trois fois par jour jusqu’au 12 décembre. Motif, ce jeune homme « envisage de rejoindre la région parisienne pendant le déroulement de la COP 21 » et il est également coupable d’appartenir à « la mouvance contestataire » susceptible de commettre des actions violentes. La même histoire s’est répétée pour six militants de Rennes, dont les appartements ont été passés au crible après des interpellations musclées. Ou pour cette cultivatrice bio de Dordogne à qui il est reproché d’avoir été parmi les premiers occupants de la Zad de Notre Dame des Landes. Pire, certaines descentes dans des appartements où les personnes visées ne demeurent plus depuis des mois témoignent d’une précipitation et d’une impréparation inquiétante.
L’inquiétude est d’autant plus grande que le premier ministre évoque déjà la prorogation de l’état d’urgence au delà du 26 février. Le gouvernement a également annoncé que deux articles modifiant la Constitution seraient soumis au Conseil des ministres du 23 décembre. Du coup le consensus général en faveur d’une réponse uniquement sécuritaire aux attentats se lézarde un peu. Après l’annonce tardive par la commission des lois de l’Assemblée de la mise en place d’un dispositif de contrôle parlementaire « en temps réel » des mesures prises, des députés de tous bords s’interrogent sur la nécessité de pérenniser l’urgence et sur les dérives qu’elle engendre.
Pour la LDH les assignations à résidence de militants « témoignent du climat de tension entretenu par la mise en place de l’état d’urgence et de l’utilisation de cette mesure exceptionnelle pour intimider les mobilisations démocratiques ». L’association rappelle que « le droit de manifester est une liberté fondamentale ».
Dans une motion votée lors de son congrès les 28 et 29 novembre, le Syndicat de la Magistrature estime que « la lutte contre le terrorisme est détournée : les interdictions de manifestations, perquisitions et assignations à domicile visent jusqu’aux militants.
En mettant en place une répression aveugle et incontrôlée, ces mesures dispersent inutilement des forces de police qui seraient bien mieux employées à la détection et la prévention des projets criminels avérés. » Rappelant que perquisitions et assignations à résidence sont possibles sans déroger à l’état de droit, le syndicat appelle à « la création immédiate d’un observatoire démocratique et pluridisciplinaire des mesures prises pour lutter contre le terrorisme, ouvert sur la société civile ».
Suite à l’interpellation de 58 personnes identifiées lors d’une manifestation de solidarité avec les migrants le 22 novembre à Paris, 58 personnalités ont signé un appel à manifester pendant l’état d’urgence. « Nous affirmons notre solidarité avec les 58 personnes poursuivies. Nous exigeons la levée immédiate de toute poursuite à leur égard ainsi que pour toutes celles et ceux qui seraient poursuivies pour le même motif. Nous refusons toute criminalisation des mouvements sociaux.Nous exigeons la levée des interdictions de manifester ». Pour les signataires la meilleure façon de rendre hommage aux victimes est de soutenir ceux et celles qui fuient la misère, Daesh et la guerre et de construire la paix.
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