« Une criminalisation avérée de l’action syndicale »

Dans notre histoire sociale, jamais une peine de prison pour « séquestration » n’avait été prononcée, rappelle l’historien **Xavier Vigna**.

Erwan Manac'h  • 20 janvier 2016 abonné·es
« Une criminalisation avérée de l’action syndicale »
© **Xavier Vigna** Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne. Membre junior de l’Institut universitaire de France. Photo : Militants de Lip en 1973 / AFP

Mesurons la portée de l’événement : la condamnation des ex-Goodyear est un fait social majeur. Elle marque, selon Xavier Vigna, une volonté manifeste d’atteindre le mouvement syndical, dans un contexte d’affaiblissement continu de l’État social.

Les peines de prison ferme contre huit ex-salariés de Goodyear ont-elles un équivalent dans notre histoire sociale ?

Xavier Vigna : À ma connaissance, c’est une triste première, y compris si l’on observe des périodes de fortes tensions. Les séquestrations jalonnent notre histoire sociale dès 1936. On assiste alors à des séquestrations « offensives », par lesquelles les salariés espéraient faire céder le patron et obtenir des avancées au sein de l’entreprise. Le mouvement de 1968 dans les usines démarre d’ailleurs avec occupations et séquestrations : le directeur de la première usine occupée, Sud-Aviation, près de Nantes, est retenu avec plusieurs de ses collaborateurs pendant quinze jours, sans que les ouvriers ne soient inquiétés ensuite par la justice.

Les séquestrations restent fréquentes jusqu’à la fin des années 1970. On le voit avec la lutte des ouvriers de l’usine de montres Lip à Besançon, en 1973, qui cumule quatre illégalités : la séquestration, le détournement d’un stock de montres, l’occupation de l’usine et la remise en marche des machines sans autorisation. Mais le gouvernement Messmer, de droite, dans lequel Raymond Marcellin était un ministre de l’Intérieur de choc, n’a jamais traîné les militants au tribunal.

Le cas de Lip marque un moment de bascule, car c’est véritablement la première séquestration « défensive », destinée à préserver des emplois menacés. Il n’est plus question que de cela aujourd’hui. Les conflits sociaux sont moins nombreux et nous faisons face à des séquestrations de désespoir. Ces salariés défendent leur droit à travailler et à vivre. Ils sont condamnés pour avoir retenu deux cadres pendant une trentaine d’heures. Mais où est la véritable violence lorsqu’on considère les centaines d’emplois détruits, et donc de vies saccagées ?

Comment une telle sévérité peut-elle s’expliquer ?

C’est un jugement politique. Nous assistons à une criminalisation avérée de l’action syndicale avec des décisions de justice de plus en plus sévères. Si on met bout à bout le maintien de l’état d’urgence, l’assignation à résidence des militants écologistes pendant la COP 21, la prison ferme pour des syndicalistes après réquisition du parquet, tout cela dans un temps court, cela fait une conjonction très significative de ce que Manuel Valls est en train de faire. C’est grave.

La contre-offensive idéologique remonte à trente ans. Elle s’est accompagnée d’un affaiblissement du mouvement syndical. Le Parti socialiste ne soutient absolument plus le monde ouvrier. Lorsqu’il y a des décisions de cette dimension, il y a certes des réactions d’indignation jusque dans les rangs du PS, mais il faut mesurer l’ampleur de l’abandon. Le PS a organisé l’affaiblissement des classes populaires alors qu’il était censé les défendre. Tandis que le mouvement ouvrier – qui -s’entend comme une articulation entre des organisations syndicales, des partis politiques et toute une série d’associations qui incarnent les espoirs des classes populaires – a disparu. Les salariés sont donc très mal défendus, quel que soit le mérite – réel – des militants et des organisations syndicales, lesquels sont emportés par cette lame de fond. C’est pourquoi il faut organiser des résistances collectives.

La future réforme du code du travail doit faire plus de place aux accords d’entreprise. Quelles conséquences pour l’avenir des salariés ?

Les conséquences sont facilement imaginables dans la mesure où les salariés, dans la sphère de l’entreprise, sont plus exposés, moins bien informés et ont plus de mal à se défendre.

Il s’agit en réalité de casser toutes les logiques de branches ou interprofessionnelles à l’échelle nationale. C’est une régression sociale et un nouvel affaiblissement de l’État social au profit du patronat, qui pourra beaucoup plus facilement faire pression ou monter des syndicats déférents, afin d’obtenir des exemptions. Cette réforme aboutira à une nouvelle régression du droit du travail et à un affaiblissement des droits des salariés.

Temps de lecture : 4 minutes