Du poison et du venin

Depuis quand lutte-t-on contre le racisme en le flattant ?

Sébastien Fontenelle  • 3 février 2016 abonné·es

Hier matin, Le Journal du dimanche a publié l’infâme – je pèse le mot – sondage que voici : « Vous-même (sic), au cours de l’année, avez-vous personnellement rencontré des problèmes (insultes, agressions…) avec une ou plusieurs personnes issues des groupes suivants ?

Des personnes d’origine maghrébine. Des Roms. Des personnes de confession musulmane. Des personnes d’origine africaine (subsaharienne). Des personnes de confession catholique. Des personnes de confession juive. Des personnes d’origine asiatique. »

Je ne vais pas entrer ici dans le détail de ce que m’inspire cette ignominie : je ne vais pas, par exemple, me demander comment – par quelles caractéristiques ou quels traits supposés – les gens qui l’ont commandée prétendent reconnaître des « personnes de confession musulmane », ou catholique, ou juive. Mais je crois très sincèrement que sa publication marque, dans une époque déjà très délétère, un nouveau tournant.

D’abord parce qu’elle signe évidemment (mais soulignons-le tout de même) qu’il est dorénavant permis – et, d’une certaine manière, recommandé – d’appréhender et de restituer l’altérité « raciale » et religieuse par le seul biais de son caractère supposément insultant ou agressif : dans l’intitulé même de la question posée, les Maghrébin(e)s, les Roms, les musulman(e) s, les Noir(e)s, les juifs et les Asiatiques sont présentés comme exclusivement menaçants.

Puis aussi – et surtout – pour ce que l’accueil réservé à cette répugnante parution dit de ce que, désormais, nous tolérons collectivement. Et pour ce qu’il révèle, donc, de nos renoncements – et de l’espèce d’apathie qui nous fait quotidiennement accepter, sans réagir autrement que par des mots, que les digues qui protégeaient naguère notre décence commune soient dynamitées les unes après les autres.

Puisque, en effet, loin de s’offusquer de la monstruosité de cette sonderie, de nombreux commentateurs ont jugé qu’il convenait, pour la toiser convenablement, de la resituer dans son « contexte » – qui vaudrait à lui seul une longue analyse, mais qui était selon ces exégètes, et pour le dire un peu vite, celui d’une double page où le JDD prétendait justement dénoncer la persistance de maintes discriminations.

Sauf que. Depuis quand lutte-t-on contre le racisme en allant flatter dans le public – fût-il celui, congru, d’un échantillon de sondé(e)s –, par une question dont la formulation incite à vomir de l’acidité xénophobe, les instincts mêmes qui nourrissent la dépravation qu’on prétend fustiger ? Depuis quand éradique-t-on l’antisémitisme ou l’islamophobie en excitant l’idée que les juifs ou les musulmans sont, en tant que tels, et par eux-mêmes, insultants ou agressifs ?

Ces questions, semble-t-il, ne doivent plus être posées : l’on est plutôt sommé(e) de considérer qu’un sûr moyen de soigner la haine est de la nourrir de la suggestion qu’elle n’est pas complètement vaine – puisqu’elle se déchaîne contre des individus présentés comme hostiles –, et de ne pas interroger la « pédagogie » démente qui, pour guérir une toxémie, ajoute du poison au venin.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes