Le temps des crises et des croyances

La croissance économique forte ne reviendra pas.

Jean-Marie Harribey  • 10 février 2016 abonné·es
Le temps des crises et des croyances
© Photo : ALFRED PASIEKA/SCIENCE PHOTO LIB / APA / SCIENCE PHOTO LIBRARY

L’économiste américain Robert Gordon prévient depuis des années que la croissance économique forte ne reviendra pas. En cause, le ralentissement très net de l’augmentation de la productivité du travail. Qui lui-même est dû à la conjonction de plusieurs facteurs, notamment : les nouvelles techniques facilitent la production de gadgets, mais les retombées en termes de productivité ne constituent pas une nouvelle révolution industrielle ; la numérisation promet des emplois qualifiés minoritaires et la déqualification pour tous les autres ; la demande évolue vers les services moins porteurs de gains de productivité que l’industrie ; le tout dans un contexte où le capital se place dans les activités purement financières plutôt que dans l’investissement productif, et où les inégalités s’accroissent.

Tous les indicateurs concordent sur le long terme : depuis cinquante ans, la chute est impressionnante pour le taux de croissance des PIB, celui de la productivité du travail ou celui de ladite productivité globale des facteurs. On est passé dans les pays industrialisés d’un rythme de 4 à 5 % par an à 1 %, parfois un peu plus, parfois moins. Les moyennes mondiales de ces indicateurs étaient tirées jusqu’à ces dernières années vers le haut par les pays émergents. Ce n’est plus le cas, le retournement le plus emblématique étant celui de la Chine. Affolés, le FMI et la Banque mondiale réduisent leurs prévisions de croissance.

La plupart des commentaires incriminent la défaillance de la Bourse chinoise ou bien le prix du pétrole, ou encore la baisse de la demande extérieure pour la Chine. Ces faits sont réels, mais qu’y a-t-il derrière eux ? Il y a une chute de la rentabilité du capital liée à une surproduction du capitalisme chinois. Mais c’est moins la crise de la Chine que celle du capitalisme qui s’est étendue au monde entier.

Rien n’y fait : ni les bas taux d’intérêt ni l’assouplissement monétaire des banques centrales. Toute la monnaie créée tombe dans la trappe à liquidités ou bien se réfugie dans la sphère financière. Et les politiques d’austérité, particulièrement en Europe, aggravent les choses. Mais on aurait tort de croire que la fin de l’austérité mettrait aussi fin à la crise du capitalisme. Parce que celle-ci résulte de deux contradictions qui se renforcent l’une l’autre : le capitalisme néolibéral exploite la force de travail au point de raréfier la demande pour ses marchandises et il exploite la nature au point de raréfier sa base de ressources matérielles. Résultat : le taux de profit est menacé par la suraccumulation et la mise à sac de la nature. Produire et monnayer toujours plus de valeur devient difficile. Marx vérifié à 100 %.

Malgré ce constat, la croyance au retour de la croissance reste profondément ancrée, jusque chez certains économistes keynésiens à la façon des années 1960. Or, la crise actuelle n’est pas de type conjoncturel mais systémique. Dès lors, la croissance ne peut plus être un objectif en soi sans modifier la nature de la production. La bonne équation aujourd’hui devrait être : transition écologique + réduction des inégalités de revenus + RTT + services non-marchands étendus et protection des biens communs.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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