La police évacue 340 sans-papiers du ministère du Travail

Après deux nuits et une journée d’occupation, les travailleurs sans-papiers qui occupaient la direction générale du travail ont obtenu l’ouverture de négociations.

Erwan Manac'h  • 31 mars 2016
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La police évacue 340 sans-papiers du ministère du Travail
© EM / Politis

Environ 340 personnes, travailleurs sans-papiers et leurs soutiens, ont été évacuées ce matin à 6 h des bureaux de la direction générale du travail, les services du ministère, qu’ils occupaient depuis bientôt 48 heures. La police a investi les lieux et a repoussé ses occupants « sans violence, ni d’un côté ni de l’autre », rapporte une syndicaliste présente dans les locaux. Ils ont été dispersés dans le calme, sans interpellation.

Cette action qui a entraîné le blocage du bâtiment pendant toute la journée de mercredi visait à réclamer l’ouverture de réelles négociations pour la régularisation des travailleurs sans-papiers. Une circulaire de 2012 prévoit qu’un étranger peut obtenir un titre de séjour s’il justifie de deux ans d’activité sur le sol français. Or, à défaut de papier, la plupart sont embauchés au noir et donc sans fiche de paye.

La prime aux faux papiers

Les collectifs de sans-papiers de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne (Coordination 93, CTSPV 94), accompagnés par l’association Droit devant et les syndicats CGT, FSU et Sud-Solidaire du ministère du Travail, demandent donc des règles de régularisation plus cohérentes. Des preuves effectives de relation de travail – comme le virement bancaire – doivent selon eux valoir pour une régularisation.

Mercredi après-midi, devant l’immeuble de verre qui abrite la direction générale du travail, dans le 15e arrondissement de Paris, un comité de soutien s’étoffe d’heure en heure. Une poignée de policiers bloquent l’accès à la tour, ne laissant passer que les sacs remplis de nourriture et d’eau pour le ravitaillement des occupants.

Lassana est homme de ménage, au noir, depuis huit ans. Il vit avec la crainte des contrôles, dans sa vie quotidienne comme sur son lieu de travail, où son employeur multiplie les précautions pour ne pas être pris sur le fait.

Mourad, lui, est plus chanceux. Il peut espérer une régularisation par le travail, car il a été embauché il y a deux ans avec des faux papiers. Ironie de l’histoire, c’est grâce à cette fraude qu’il obtient chaque mois les fiches de paye qui lui permettent aujourd’hui de justifier de son activité. « Nous ne demandons rien de compliqué. Juste d’être acceptés et de pouvoir vivre et travailler ici. Nous avons tout sacrifié pour notre famille », résume Mourad.

Le ministère ouvre des négociations

Fin janvier, il avait déjà fallu qu’ils occupent l’inspection du travail pour obtenir une entrevue avec les services du ministère du Travail. Devant l’absence de suites, ils ont décidé de reproduire ce mode d’action, préparée de longue date et suivie selon eux par une mobilisation « remarquable ».

18 h 30, mercredi, une délégation de sans-papiers et de leurs soutiens est reçue par le directeur de cabinet du ministère du Travail. Ce dernier s’engage par écrit à négocier avec eux durant trois mois. Trois groupes thématiques doivent être formés : le premier pour réfléchir à une amélioration de la prise en compte de la relation de travail pour les régularisations, le second sur les pouvoirs de l’inspection du travail en matière de régularisation et le troisième concernant la taxe de l’office français de l’immigration et de l’intégration. Les travailleurs étrangers demandent l’abrogation de cet impôt d’un montant d’environ 950 euros, que les employeurs doivent acquitter pour l’embauche d’un salarié étranger, car elle est souvent répercutée sur les premiers salaires du travailleur.

Dans la soirée, les occupants de la tour Javel ont demandé une modification de cette feuille de route. Refus du directeur de cabinet du ministère, qui estime closes les discussions et laisse place à l’intervention de la police, à partir de 6 h.

« Nous espérons que le programme qui nous a été proposé sera tenu, même si nous ne sommes pas parvenus à signer un accord formel », conclut jeudi matin Marie Guidon, de l’inter-syndicale du ministère du Travail et membre de la CGT. Si elle est respectée, la proposition du ministère du travail représente en effet un premier signe encourageant pour les collectifs de sans-papiers, qui espèrent in fine la publication d’une nouvelle circulaire sur la régularisation par le travail.

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