Nos affaires avec l’Égypte

Le spectacle des embrassades protocolaires entre François Hollande et le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi était difficilement supportable.

Denis Sieffert  • 20 avril 2016
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Nos affaires avec l’Égypte
© KHALED DESOUKI / AFP

Quand tout va mal, rien de tel qu’un petit voyage à l’étranger. François Hollande le sait, dans le désastre de son quinquennat, les dossiers internationaux lui mettent encore parfois un peu de baume au cœur. À tort ou à raison, mais c’est ainsi. La guerre, les bombes loin de nos frontières, sur Daech ou sur les jihadistes du Nord-Mali, font bon effet sur beaucoup de commentateurs. À cette distance, il est vrai, on n’est pas très regardants sur les « dégâts collatéraux ». Et les effets indésirables, à moyen ou long terme, ne sont pas mesurables.

En chef militaire pourchassant le terrorisme jusque dans ses retranchements, ou traitant « à la racine » la question des migrants, notre François Hollande finirait presque par ressembler à Churchill. Après une émission de télévision ratée et des sondages qui le donnent désormais talonné ou devancé par Jean-Luc Mélenchon, c’est bon pour le moral. De fait, on l’a vu à la télévision sous son meilleur profil dans le camp de réfugiés syriens de Dalhamiyé, au Liban, puis au Caire. Un jour acclamé par des gamins qui lui offraient des dessins ; le lendemain faisant la leçon au maréchal Sissi sur les droits de l’homme. Images flatteuses. Mais, le bénéfice en est éphémère, et il ne rapportera pas au futur candidat un quart de point dans les enquêtes d’opinion.

Depuis le Liban, petit pays de cinq millions d’habitants, en pleine crise institutionnelle, toujours au bord d’une guerre civile, et qui accueille actuellement plus d’un million de Syriens, François Hollande a finalement délivré un message moins sympathique qu’il n’y paraît. Le chiffre dérisoire de trois mille réfugiés supplémentaires que la France serait prête à accueillir, et l’aide de cent millions d’euros sur trois ans accordée au pays du Cèdre pour qu’il garde ses réfugiés semble vouloir dire aux Syriens qui fuient la guerre : « Surtout, restez où vous êtes ! » On aurait espéré plus d’empathie. Mais l’étape suivante nous a été plus douloureuse encore. Du Caire, les médias ont surtout retenu le sermon qu’il a adressé au maréchal Sissi. Apparemment, il n’était pas prévu que la remontrance soit à ce point publique. Mais il arrive que les journalistes fassent leur travail. Au cours de la conférence de presse des deux chefs d’État, les questions ont fusé sur les multiples atteintes aux droits de l’homme. Rendons au moins cet hommage au Président français : il ne s’est pas dérobé. Et il a même eu une formule forte : « Les droits de l’homme sont aussi une façon de lutter contre le terrorisme. » Mais les mots ne peuvent faire oublier les actes.

On a beau être vaccinés à la realpolitik, le spectacle des embrassades protocolaires entre François Hollande et le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi était difficilement supportable. N’y aurait-il décidément aucune limite aux calculs stratégiques et aux convoitises commerciales ? Aurait-il fallu jadis faire des affaires avec Pinochet ?

C’est un signe des temps : poser la question morale prête aujourd’hui à sourire. Posons-la tout de même. En quatre ans, la France a vendu pour 243 millions d’euros d’armement à l’Égypte. Des avions de combat qui font des ravages au Yémen. Des blindés et des chars qui servent à réprimer toute manifestation dans les villes égyptiennes. Or, l’Égypte de Sissi, c’est 1 400 manifestants tués dans les rues, et c’est aujourd’hui 40 000 prisonniers politiques, près de 2 000 disparitions en 2015, des condamnations à mort prononcées à la va-vite et à la chaîne, des cas innombrables de tortures dans les commissariats. En France, de belles âmes ont tôt fait de justifier l’injustifiable : les victimes de cette sanglante répression ne seraient après tout que des « islamistes ». Et l’Égypte de Sissi serait redevenu un facteur d’ordre et de stabilité dans la région. Autant d’arguments éminemment contestables. Et pas seulement du point de vue de la morale.

L’appellation « islamiste » est, on le sait, bien utile pour tous les amalgames, entre Daech, qui dispose en effet de cellules dans le Sinaï, et l’immense majorité des Frères musulmans qui soutiennent pacifiquement l’ancien Président élu, Mohamed Morsi, destitué en 2013 et condamné à mort. Et il y a longtemps que la répression ne se limite plus aux Frères musulmans, quand bien même ceux-là auraient vocation à être torturés et assassinés sans que cela émeuve nos démocraties. Des libéraux, des démocrates, des journalistes, des universitaires sont emprisonnés ou assassinés, comme l’enseignant français Éric Lang, battu à mort dans un commissariat du Caire en 2013, et l’étudiant italien Giulio Regeni, torturé et assassiné le 25 janvier dernier, alors qu’il travaillait sur le mouvement syndical égyptien. Cessons de croire que cette Égypte-là lutte contre l’islamisme radical. Meilleure alliée de l’Arabie saoudite, qui finance son armement, et d’Israël, elle ne fait en vérité qu’alimenter le jihadisme. Non, décidément, ce n’est pas ce voyage qui va redorer le blason de François Hollande.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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