Une gigantesque plaisanterie

De cracheur de merde, me voilà transmuté en preux paladin de l’anticonformisme.

Sébastien Fontenelle  • 20 avril 2016 abonné·es
Une gigantesque plaisanterie
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Les gens – principalement mes éditeurs et mes journaleux d’accompagnement – racontent que je suis philosophe. Naturellement, je laisse dire : philosophe, c’est gratifiant. Mais, en vérité – à toi, je peux bien le révéler –, c’est une gigantesque plaisanterie (comme disait naguère un écrivain que j’aime bien et dont je ne dédaigne pas de glisser dans mon CV que lui aussi m’apprécie, mais c’est une autre histoire). Dans la réalité, je suis penseur comme t’es l’abbé Pierre. La dernière fois que j’ai fait de la philo, c’était en terminale – avant de passer l’agreg de lettres modernes.

Mon véritable boulot, c’est commentateur. De l’actualité. Je suis exactement comme le pénible gars que tu croises tous les matins (et depuis tant d’ans que le souvenir s’en perd) au bar d’en bas de chez toi (BD’EBDCT) : celui, tu sais, qui a des avis dégueulasses sur à peu près tous les sujets et qui n’aime rien tant que de les piauler à la cantonade.

Sauf que moi, mon zinc, il est pas au Balto – me prends surtout pas pour un prolo : il est partout dans les journaux, et dans toutes les radios, et à la télé, il va de soi.

Les gens de médias s’arrachent ma prose, se disputent ma logorrhée, me font des trônes à chaque fois que je l’ouvre, et je suis certain que, vu d’un peu loin, ça impressionne les âmes fragiles. Mais, à dire vrai, j’ai un secret : au lieu de cracher mon fiel phobique comme un vulgaire salaud de quartier, je pose au fier briseur de tabous. Quand ce mec du BD’EBDCT, qui est moins dégrossi que moi, lance à sa cantonade que les Arabes le font chier, je chuinte quant à moi que j’ai l’identité – culturelle, non moins que nationale – accablée, surtout depuis que j’ai constaté que le marchand de chair à saucisse de Saint-Tortillard-les-Cinq-Églises a cédé son bail à un Algérien d’apparence. Puis j’ajoute que je crains que ce charmant village fleuri ne soit très bientôt rebaptisé Allah-Akbar-les-Cent-Mosquées, et que ça me fait quand même un peu peur, parce qu’on a beau n’être pas chauvin on redoute quand même les janissaires qui viennent jusque dans nos bras égorger notre cassoulet.

En somme, t’auras compris : je dis au fond la même chose que le fâcheux du BD’EBDCT, qui lui-même régurgite ce qu’il a entendu chez les fafs. Mais, moi, je lève (de moins en moins) le petit doigt, et mes fidèles servants de la presse et des médias trouvent ça follement iconoclaste : les voilà qui battent des mains en feulant que j’ose appeler un bougn… un chat un chat. Magie des forgeries : me voilà, de cracheur de merde, transmuté en preux paladin de l’anticonformisme.

Et, bien sûr, il se trouvera, quand je me montrerai trop rétif à la bien-pensance altérophile, quelques ultimes gauchistes pour ne pas se laisser prendre à mes haines cauteleuses – et pour pointer ma vilenie sous mes civilités. Mais je sais comment se gèrent ces menus inconvénients : quand on va trop contre mes vues, je hurle au fascisme. Ce terrorisme-là n’est après tout qu’intellectuel : sans doute est-ce pour cela que mes journalistes l’aiment tant.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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