Orchestre debout : Joueurs de lutte

Un orchestre spontané réunissant amateurs et professionnels pour un concert en plein air ? C’est ce que l’Orchestre debout a rendu possible. Réjouissant.

Ingrid Merckx  • 11 mai 2016 abonné·es
Orchestre debout : Joueurs de lutte
© Simon Guillemin/Hans Lucas/AFP

« Si le jazz est né dans les champs de coton, l’orchestre symphonique prend sa source à -Versailles », rappelle Maxime, chef professionnel qui dirige également un ensemble amateur. « La hiérarchie sociale n’est pas pire dans un orchestre que dans la société qu’il reflète, tempère-t-il cependant, balayant les raccourcis sur la lutte des classes dans un ensemble symphonique_. C’est surtout la hiérarchie des sons qui prime. En revanche, la forme et le fonctionnement d’un orchestre sont très codifiés et institutionnalisés. »_ Ce qui le séduit, dans l’Orchestre debout, qui s’est monté pour un premier concert place de la République à Paris le 20 avril, c’est sa volonté de faire évoluer l’instrumentarium traditionnel en y incluant des saxophones, des guitares, un ukulélé, etc. Mais aussi de mêler professionnels et amateurs de tous niveaux.

Pas un hasard si ce sont des amateurs qui ont allumé la mèche : « Le milieu de la musique est peu politisé, observe Fanny, prof d’histoire-géo et violoniste. Et celui de la musique classique pas immédiatement marqué à gauche. C’est manifestement moins vrai chez les amateurs, dont certains fréquentaient Nuit debout. » Parmi ceux-là, Clément, maître de conférences et hautboïste, a lancé l’idée d’un orchestre debout. Un message a été envoyé à la cinquantaine de symphoniques amateurs que compte la -capitale. Et le feu a pris sur les réseaux sociaux : « Qui vient jouer de quoi ? »

Règle du jeu : chacun prend un pupitre et une lumière et joue debout, sauf les violoncelles. Un petit groupe s’organise pour porter tabourets et percussions. On se met d’accord sur des morceaux que chacun a forcément « dans l’oreille », s’il ne les a pas déjà joués. Des liens vers les partitions sont mis en ligne façon open source. Pas de répétitions, sauf un calage unique deux heures avant le concert. Pas de chef professionnel, mais des chefs amateurs tournants, dont des femmes (elles ne sont que 4 % dans les orchestres professionnels) ! Et à 22 heures, au pied de la statue de la République, la musique commence (voir sur Politis.fr).

Ils étaient plus de trois cents pour le -deuxième concert de l’Orchestre debout, le 30 avril, à faire frissonner des milliers de spectateurs amassés dans le noir sur cette place qui était en deuil il y a quelques mois à peine. « Des professionnels nous ont rejoints dès le premier concert, se réjouit Guillaume, violoniste. On est tous là avec nos instruments, il n’y a plus de barrières. » Près de cent cinquante choristes. « Il en faudrait davantage », alerte Fanny. « D’autant que la voix, c’est l’instrument commun à toutes les cultures », souligne Maxime, qui aimerait voir les questions qui agitent l’orchestre « se solidifier ». « Le Chœur des esclaves »extrait de Nabucco de Verdi, L’Hymne à la joie de Beethoven, le final de La Symphonie du nouveau monde de Dvorak… « Ça reste de la musique composée par des Blancs et jouée par des Blancs à des Blancs », déplore le chef, qui trouve l’Orchestre debout trop occidentalo-centré, subversif par endroits – anti-consommation de masse par exemple – mais pas vraiment contestataire.

Pourquoi pas L’Hymne à la joie dans toutes les langues ? Des chansons populaires ? De la musique improvisée ?, proposait Maxime lors d’un débat pré-concert et post-cours d’instruments, le 30 avril. Quel répertoire ? « Sortir de la musique d’inspiration religieuse du XIXe ! » Écrit par qui ? « C’est surtout le compositeur qui donne les ordres ! » Arrangé par qui ? Dirigé par qui ? « Quel est le rôle du chef ? » Joué par qui ? « Les musiciens se lèvent ! », applaudit Natasha, professeur de chant jazz et musiques actuelles en conservatoire. « L’existence de cet orchestre est une expérience humaine incroyable et un symbole très fort, salue aussi Maxime. On sait désormais qu’il est possible de monter un orchestre instantané et participatif. C’est très inspirant ! » Prochain concert prévu : le 15 mai.

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Incels, pédoporn et IA : l’essor des petites amies virtuelles
Enquête 18 juillet 2025 abonné·es

Incels, pédoporn et IA : l’essor des petites amies virtuelles

À l’instar d’Ani, la récente création d’Elon Musk, les petites amies virtuelles dopées à l’IA se multiplient sur internet. Programmés pour être hypersexualisés, voire ouverts à la pédopornographie, ces avatars sont de plus en plus populaires.
Par Thomas Lefèvre
« L’érotisation de la domination masculine ne se résume pas à la pornographie »
Entretien 18 juillet 2025 abonné·es

« L’érotisation de la domination masculine ne se résume pas à la pornographie »

Docteur en sciences de l’information et spécialiste de la consommation pornographique des jeunes, ludi demol defe considère que la lutte contre la pornographie sert de paravent à celle contre les violences sexuelles.
Par Élise Leclercq
« Le temps de vacances n’est pas considéré au même titre que les autres temps sociaux »
Entretien 17 juillet 2025 abonné·es

« Le temps de vacances n’est pas considéré au même titre que les autres temps sociaux »

Le sociologue Bertrand Réau, auteur d’ouvrages sur les vacances et le tourisme, rappelle comment les vacances se situent au carrefour de nombreuses inégalités.
Par Élise Leclercq
10 000 départs en vacances : l’objectif fou du bassin minier
Reportage 16 juillet 2025 abonné·es

10 000 départs en vacances : l’objectif fou du bassin minier

Dans le Pas-de-Calais, plus de 10 000 personnes pourront s’évader cet été, parfois pour la première fois. Grâce à l’engagement de plusieurs associations et d’élus locaux qui n’ont pas oublié que le droit aux congés était inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme.
Par Élise Leclercq