Coups bas du Medef

Figure de la convergence des luttes, Loïc Canitrot, de la compagnie Jolie Môme, a été agressé par le chef de la sécurité du Medef. De victime, il se retrouve accusé.

Ingrid Merckx  • 15 juin 2016 abonné·es
Coups bas du Medef
© Photo : CITIZENSIDE / patrice pierrot / citizenside.

Il avait les bras en l’air quand le chef de la sécurité l’a frappé dans les parties génitales. « On avait [pourtant] essayé de lui expliquer que c’était au Medef qu’on en voulait, pas à ses employés », a déclaré Loïc Canitrot au sortir de sa garde-à-vue (voir Politis.fr). Précision qui suscite l’admiration de Samuel Churin, de la Coordination des intermittents et précaires : « Il aurait pu s’énerver contre cet homme qui, de surcroît, a porté plainte contre lui alors que c’était lui la victime ! Mais non, derrière l’homme, Loïc voit le système, et derrière son geste, la réponse du Medef aux intermittents. »

Quand il est sur une action, comme le 7 juin avenue Bosquet pour réclamer la prise en compte de l’accord signé par le secteur le 28 avril, « Loïc n’en perd pas de vue le sens politique. Chez lui, la forme n’est jamais séparée du fond », poursuit Samuel Churin. Jusqu’à faire du procès que le Medef lui intente, le 5 août, une étape dans la lutte des intermittents contre le syndicat des patrons et un nouveau chapitre de la répression des manifestants contre la loi travail.

Pour aller au Medef, le 7 juin, Loïc s’était habillé en « monsieur » : pantalon et « veste smart ». « C’était plus approprié pour circuler dans le quartier. » Avenue Bosquet, on ne le connaissait pas : « Je n’étais jamais entré », assure-t-il. C’est donc par hasard que le chef de la sécurité s’en est pris à cet interluttant de la première heure, sympathisant de Lutte ouvrière, membre de la coordination des intermittents et précaires, de la CGT spectacle et de la Commission accueil et sérénité de Nuit debout, parent d’élève engagé à Saint-Ouen, où il habite, et citoyen engagé à Saint-Denis, où il travaille. Le Medef ne pouvait pas tomber mieux. Ou pire. Car Loïc Canitrot est une figure de la convergence des luttes.

« On a regardé Nuit debout comme un objet de curiosité. On l’a critiqué comme étant une nuisance. Maintenant on dit qu’il n’y a plus rien ?, lâche-t-il un peu las. J’observe des mobilisations partout, des Nuits debout dans des tas de villes, des intersyndicales… Les quinze jours qui viennent vont être déterminants. » Sur le front de la loi travail et celui des négociations sur l’assurance chômage, où les intermittents viennent opposer une alternative à la flexibilité néolibérale défendue par le Medef avec la CFDT. Loïc leur prête sa voix. Et sa stature – 1,90 mètre. C’est peut-être par peur que le chef de la sécurité a cogné. D’habitude, « être un grand costaud, ça aide », confie Alexandre, de la CNT, qui s’en faisait déjà la remarque quand ils étaient jeunes militants contre le CIP en 1993. Il était au lycée, Loïc à la fac. « Il se situe au carrefour de quantité d’organisations et de gens différents, avec qui il fait preuve du même respect et de la même écoute. Il est aussi très “cadré”. Il sait ce qu’il fait et pourquoi. Toujours devant. S’il n’est pas d’accord avec des énervés en tête de manif, il ne les condamne pas. Il va leur parler. Chez lui, tout passe par la réflexion. » Non pas que Loïc soit radicalement contre toutes les formes de violence : il a fait ses classes chez les Redskins, mais « il est plutôt du genre à calmer les excités qu’à exciter les calmes », résume Serge Halimi, du Monde diplomatique.

Né en 1972, il a grandi dans une famille « sans problème » mais dans une banlieue où « ça pouvait être dur autour ». Son calme, ce n’est pas de l’inné, c’est de l’acquis. « Appris petit à petit. La paternité a aidé… » Après un DUT de commerce qui l’a détourné du commerce à tout jamais, il a été manutentionnaire et militant en deuxième plein temps. « Loïc est sensible, informé, il a l’intelligence des autodidactes qui se sont formés à la politique sur le terrain et en lisant », raconte Samuel Churin. C’est lors d’une fête de soutien à des prisonniers politiques en 2001 qu’il a rencontré Jolie-Môme. « Je suis tombé amoureux de cette troupe, son propos, sa forme, son énergie », s’enflamme le garçon qui croyait que le théâtre n’était pas son genre depuis un Bourgeois gentilhomme barbant vu à 14 ans. S’il pouvait, l’intermittent lui passerait un CDI au doigt. « Loïc réussit à faire converger ses convictions et sa vie professionnelle, apprécie Alexandre. Pour moi, c’est ça le plus balèze !»

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